Les révoltés de Dieu
l’accepte auprès de lui et soulève
le couvercle de la fameuse « boîte » : tous les maux s’en
échappent aussitôt et envahissent le monde des humains. Comme dans la Bible
hébraïque, c’est une femme qui est l’agent responsable de la déchéance et des
malheurs de l’humanité.
Cependant, la vengeance de Zeus ne s’arrête pas là. Il fait
enchaîner Prométhée par Héphaïstos sur un des sommets du Caucase, le condamnant
à avoir le foie rongé perpétuellement par un vautour. Ce supplice effroyable n’empêche
nullement Prométhée de persister dans son attitude de défi envers Zeus, mais
une tradition, peut-être plus tardive, fait intervenir, une trentaine d’années
plus tard, Hêraklès qui tue le vautour et libère le Titan de ses chaînes. Cette
conclusion optimiste de la tragédie prométhéenne n’est certes pas très éloignée
de la conception messianique judéo-chrétienne à propos du Christ libérateur des
âmes souffrantes.
Qui est Hêraklès, incarnation symbolique de la force physique,
analogue au Melkarth des Phéniciens et à l’Ogmios des Celtes [25] vu à travers une étonnante description du philosophe sceptique Lucien de
Samosate ? Un demi-dieu, né de l’union de Zeus et d’une femme, Alcmène, épouse
d’Amphitryon, selon la légende grecque, ce qui rappelle la conception de Jésus-Christ
par l’Esprit Saint dans le sein d’une femme, la Vierge Marie. C’est en tout cas
un libérateur , un sauveur ,
qui débarrasse le monde des monstres infernaux qui l’encombrent et qui meurt
volontairement, sacrifié sur un bûcher [26] .
Mais son sacrifice est en fait une apothéose, car
il acquiert ainsi l’immortalité et est admis sans condition parmi les dieux
olympiens.
Le feu dérobé par Prométhée est essentiellement l’agent de
la métamorphose. Il permet à Hêraklès, à moitié homme et à moitié dieu, de devenir
vraiment un dieu. Et maintenant que les humains disposent de ce feu divin, ils
peuvent prétendre eux aussi, après bien des épreuves, après bien des sacrifices,
à se métamorphoser et à devenir, non pas comme des
dieux , mais des dieux à part entière. Sans exagérer, on peut comprendre
cette histoire mythique comme une réminiscence du passage de l’hominidé
primitif ou même de l’ homo habilis , encore
proche de l’animal, à l’homme proprement dit, l’ homo
sapiens . La mythologie conserve, en fragments épars, le souvenir de la
grande histoire de l’humanité. Mais, on le voit, il faut toujours l’intervention
d’une puissance supérieure pour que s’accomplisse cette mystérieuse mutation.
Dans cette optique, on peut considérer que la légende de
Prométhée est l’affirmation d’une croyance selon laquelle les existants humains pourront un jour, grâce à un « sauveur »,
se libérer de tous les liens (souffrances et mort) qui l’enchaînent et l’empêchent
de parvenir à l’épanouissement total. Ce sont des paroles d’espoir qui misent
sur le succès de la révolte humaine contre toutes les oppressions d’où qu’elles
viennent. Mais cette vision est, répétons-le, celle de l’humanisme occidental, surtout
depuis la période romantique. Elle est complètement aberrante si l’on replace
cette légende dans son contexte hellénique d’origine.
En effet, un simple détail fait tout basculer : lorsque
Épiméthée a ouvert la fameuse boîte de Pandore, tous les maux se sont échappés, sauf un , parce que Pandore elle-même a refermé
le couvercle. Le dernier des maux suscités par Zeus est donc resté au fond de
la boîte et c’est, chose bien surprenante, l’ espérance .
Si l’on comprend bien ce détail, l’ espérance est donc un mal envoyé par les dieux pour tourmenter les existants humains, mais qui n’a pas été encore répandu
dans le monde, qui en est encore à l’état potentiel. C’est une malédiction
créée et envoyée par les dieux pour tenir les humains à leur merci.
Tout cela est dans la tonalité de la métaphysique
particulière des Grecs, probablement d’origine indo-européenne, et qui s’est
répercutée dans ce que l’on connaît des croyances germano-scandinaves. Les
dieux ont peut-être créé volontairement les humains mais, en leur donnant le feu , c’est-à-dire l’ intelligence ,
ils craignent qu’un jour ces humains ne les supplantent et n’organisent le
monde à leur façon. La légende de Prométhée, si proche, par bien des aspects, du
récit biblique
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