Les révoltés de Dieu
représentait
tantôt comme des oiseaux de nuit cruels et voraces, telles les fameuses striges,
êtres à moitié femmes et à moitié oiseaux que décrit Ovide dans les Fastes ( VI, v. 135 et suiv .) « volant à travers la nuit, à la
recherche des enfants et des nourrices sans lait, et souillant les corps arrachés
aux entrailles de celles-ci », ou telles encore les Harpies grecques qui
sont de vieilles sorcières se changeant en bêtes pour venir mutiler les
cadavres [29] .
Il est bien évident que ces striges, ces lamiae , sont de même nature que la Lilith citée par
le Livre d’Isaïe. Et elles font inévitablement penser à ces entités féminines maléfiques
des traditions arabes et auxquelles on a donné le nom de « goules » ( ghula ), comme en témoigne un des contes des Mille et une Nuits . Il s’agit d’un jeune prince qui
se laisse emmener par une ghula qui lui était
apparue sous l’aspect d’une très belle fille. Mais dès qu’il se trouve dans la
maison de la fille, « il la vit soudain sous la forme d’une goule. Elle
disait à ses petits : je vous ai amené un jouvenceau de bel aspect, un
jouvenceau gras. – Fais-le venir ici, maman, supplièrent-ils, afin que nous
fassions de son ventre notre pâturage [30] ».
Cet aspect terrifiant, sanguinaire et destructeur des goules,
des striges et des lamies, renvoie à celui qui est prêté à Lilith par la
tradition rabbinique juive, mais tout cela en dehors des textes canoniques de
la Bible hébraïque. Dans la Kabbale [31] , Lilith est le nom d’un
des sept démons que les hermétistes juifs opposaient au génie de Vénus, modèle
du kalos’kagathos , principe grec du Beau qui
est aussi le Bien. C’est pourquoi certains kabbalistes du Moyen Âge ont vu dans
le personnage de Lilith le « démon du vendredi » jour de Vénus. Et
ils l’ont représentée sous les traits d’une femme nue dont le corps se termine
par une queue de serpent. Cela n’est certes pas sans évoquer un autre
personnage mythologique populaire, celui de la Mélusine du Poitou, image assez
extraordinaire d’une « déesse mère » bienfaisante et bâtisseuse, qui
retrouve sa queue de serpent chaque samedi dans sa grotte, mais qui, après son « découvrement »
et sa disparition, est capable de se transformer en oiseau de nuit [32] .
Mais c’est dans le Talmud [33] que se trouve exposé l’essentiel
de l’histoire légendaire du personnage plus ou moins controversé et
fantomatique de Lilith, présentée comme le symbole le plus marquant de la
révolte contre Dieu.
Lorsque Yahvé créa Adam, il créa en même temps une femme, Lilith,
comme lui tirée de l’argile et à laquelle il insuffla la vie. Et Yahvé la donna
comme épouse à Adam. Mais Lilith ne fut guère satisfaite, car elle attendait
autre chose d’Adam [34] . Elle se brouilla avec
lui, prononça le nom ineffable de Yahvé et s’envola dans les airs. Adam, resté
seul, réclama sa femme à Yahvé, qui envoya à la poursuite de Lilith les trois
anges Senoï, Sansenoï et Samangloph. Ils la rattrapèrent sur les bords de la
mer Rouge, là où, plus tard, les troupes de Pharaon seraient englouties dans la
mer sur l’injonction de Moïse. Les trois anges lui ordonnèrent de reprendre sa
place auprès d’Adam, mais Lilith refusa résolument. Les trois anges lui dirent
alors, sur l’ordre de Yahvé, que si elle ne revenait pas, elle perdrait chaque
jour cent de ses enfants. Lilith persista dans son refus. Alors, les trois
anges voulurent la noyer dans la mer Rouge, mais elle sut si bien plaider sa
cause que les anges renoncèrent à leur projet : elle eut la vie sauve à la
condition qu’elle ne fasse jamais de mal à un nouveau-né dans un endroit où
elle verrait écrit son nom ou quand elle entendrait des paroles d’exorcisme
prononcées contre elle. Enfin, comme pour s’en débarrasser, Yahvé donna Lilith
à Sammaël – autre nom de Satan – et ce fut, dit le texte, la première des
quatre femmes de l’archange révolté. Mais dans la tradition populaire, elle
passe toujours pour être la persécutrice des nouveau-nés [35] .
C’est une bien étrange histoire, d’ailleurs quelque peu confuse,
parce que les détails sont empruntés à des traditions perdues ou fragmentaires,
et qui mérite bien des commentaires. Certes, au cours du XX e siècle, nombreux ont été les psychanalystes
qui se sont intéressés à la révolte de Lilith, en la considérant comme un
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