Les révoltés de Dieu
originel : « Ils
allèrent, lui et sa femme (Satan-Sammaël et Lilith), séduire Adam, et le
Tentateur séduisit Ève ». La Kabbale fait écho à cette tradition en précisant
à propos d’un verset quelque peu ambigu du Livre d’Isaïe ( XXVII, 1 ) qu’un jour futur, « Yahvé frappera de
son épée terrible Léviathan, le serpent insinuant, qui est Sammaël, et
Léviathan, le serpent sinueux, qui est Lilith » ( Livre Émek Ammélekh, XI ).
Dans la Genèse, aucune identification n’est faite entre le
serpent tentateur et Satan : le serpent est seulement « nu » ou « rusé »
selon les interprétations. De toute façon, il possède la « connaissance »
que n’ont pas encore Adam ni Ève. Mais, c’est le cas de le dire, la « tentation »
est grande de reconnaître Lilith dans le serpent, et vraiment Lilith seule, agissant
de son plein gré, et prolongeant ainsi sa révolte dirigée à la fois contre Adam
et le démiurge.
Ce thème mythologique a fait son chemin aussi bien dans l’iconographie
chrétienne que dans la tradition juive. Il en existe un exemple remarquable, et
peut-être unique, dans l’église paroissiale de Mauron (Morbihan), en Bretagne, à
l’orée de la fameuse forêt de Brocéliande. Il s’agit de l’ancienne porte du sud
de cette église (et provenant d’ailleurs d’un édifice antérieur) comprenant
deux panneaux de bois sculptés datant de la fin du XV e siècle [39] .
L’un de ces panneaux représente Adam et Ève devant l’arbre de la Connaissance
autour duquel est enroulé un être serpentiforme, à tête de serpent bien
reconnaissable, mais dont la queue se termine par une tête de femme. N’est-ce
pas là l’illustration parfaite de l’histoire de cette Lilith, détentrice de « savoir »
et qui entreprend de le transmettre, comme le fit Prométhée, aux existants
humains encore privés de conscience ?
Ce thème réapparaît également dans une tradition complètement
étrangère au domaine judéo-chrétien, en l’occurrence dans le légendaire
celtique tel qu’il nous est conservé dans la quatrième branche du Mabinogi gallois, vaste recueil de récits
mythologiques fort anciens collectés et transcrits au Moyen Âge [40] .
L’histoire peut être résumée ainsi : pour contrer la
malédiction jetée sur son fils Lleu par la déesse Arianrod, selon laquelle Lleu
n’aurait jamais de femme de la race des hommes, le magicien Gwyddyon, qui joue
ici le rôle d’un démiurge, avec l’aide de son oncle Math, fabrique
littéralement, à l’aide de fleurs et de végétaux, une femme à laquelle il donne
le nom de Blodeuwedd, c’est-à-dire « née des fleurs », ou « aspect
des fleurs ». Comme Yahvé avec Ève, Gwyddyon remet Blodeuwedd comme épouse
à Lleu. Mais la « fille fleur » se rebelle contre cette oppression
masculine et, après avoir trompé son époux avec un amant, elle fait tuer Lleu par
l’amant et s’enfuit avec lui. Mais Gwyddyon les poursuit, tue l’amant, ressuscite
Lleu et, pour châtier Blodeuwedd, il la métamorphose en hibou, la condamnant
ainsi à vivre dans les ténèbres de la nuit. L’analogie entre ce récit celtique
et la tradition hébraïque est évidente. Et, dans les deux cas, il s’agit bel et
bien d’une « révolte contre Dieu » et contre tout ce qu’il ordonne.
Et cette révolte, parfaitement consciente, volontaire, est
suivie d’un châtiment à l’image de la transgression.
Mais ce châtiment, en dernière analyse, est plutôt un « éloignement »,
une « mise à l’écart », une « occultation ». Il ne faut
plus qu’on entende parler de celui ou de celle qui s’est révolté (e), car cela
pourrait être un mauvais exemple. Satan est donc envoyé dans les profondeurs de
l’Enfer. Prométhée est condamné à rester isolé sur la plus haute montagne du
Caucase. Blodeuwedd est refoulée dans l’ombre de la nuit. Et Lilith, réduite à
l’état d’esprit malfaisant, n’a pour lieu de repos que des endroits désertiques
et sombres. On est alors en droit de se demander si ce « châtiment »
n’est pas une « castration » de la part de celui qui émet la
condamnation.
En effet, si Ève a été créée par le démiurge à partir d’Adam , c’est-à-dire d’un existant qui, selon la Bible ( Gen. I, 27, première version de la Création ), était
à l’image de Dieu, à la fois mâle et femelle, il en est tout autrement pour
Blodeuwedd et Lilith qui sont des
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