Les révoltés de Dieu
mythe
fondamental exprimant le refus de la femme de se soumettre à l’homme, et ont vu
dans le parallèle qui est fait, dans d’autres textes, entre Lilith la femme libre
et Ève la soumise, l’ambiguïté du désir masculin tantôt dirigé vers la putain, tantôt
dirigé vers l’épouse rassurante [36] . Mais cette interprétation
psychanalytique, toute pertinente qu’elle est, ne rend pas compte de l’extraordinaire
portée du mythe.
Il convient d’abord de ne pas négliger l’aspect anthropologique
de l’histoire de Lilith. Il ne viendrait à l’esprit de personne, sauf des
fondamentalistes obstinés, de considérer Lilith – tout comme Adam ou Ève, d’ailleurs
– comme un seul individu. Lilith représente une communauté primitive, non
encore pleinement humaine, mais dont les caractéristiques sexuelles sont
nettement féminines. Réminiscence d’un hypothétique matriarcat, tout au moins d’un
état gynécocratique comme dans la légende des Amazones, ou encore d’une race
humaine se reproduisant par parthénogenèse ? Il n’y a pas de réponse. Et
chacun peut en penser ce qu’il veut.
Ce qui est fort étonnant, c’est que selon certaines
variantes, toujours contenues dans la tradition rabbinique, Lilith est présentée
effectivement comme la première femme créée par Yahvé, mais en tant que mère d’Adam avant d’être donnée à celui-ci comme
épouse. La référence à la parthénogenèse serait alors évidente. Quant à l’inceste,
il est extrêmement répandu dans toutes les théogonies, et se reconnaît
officialisé et institutionnalisé dans l’union sacrée du Pharaon égyptien et de
l’une de ses sœurs : vu son sens symbolique, il n’y a vraiment aucune raison
de s’en formaliser. Dans ce cas, l’anthropologie se trouve en parfait accord
avec la mythologie et la métaphysique. Cependant, dans cette affaire, l’aspect
métaphysique revêt une importance encore plus considérable.
En effet, quelles que soient les causes réelles de la
rébellion contre Adam, sa révolte contre Yahvé a une tout autre dimension, une
dimension cosmique pourrait-on dire. Puisqu’elle
a été donnée à Adam, donc soumise à lui, elle rompt le contrat qui la lie non
seulement à l’homme, mais au créateur, tout au moins au démiurge, puisque Yahvé
agit ici, tel Prométhée, en tant que démiurge chargé d’organiser le monde et
ceux qui le peuplent. Or Lilith possède un don que n’auront
ni Ève ni Adam : elle connaît le nom ineffable de Dieu . Et l’on
sait que, selon les antiques croyances, celui qui connaît le nom secret, ineffable, imprononçable , d’une personne a
tous les pouvoirs sur elle. Lilith peut donc négocier avec Yahvé, car elle a les moyens de conclure un accord avec lui. Cela
prouve d’ailleurs que cette humanité « féminine » qu’elle représente
possédait la connaissance suprême, issue sans aucun doute d’une révélation
divine, connaissance que ne semblent pas avoir obtenue Ève ni Adam. Et cela
justifierait grandement le fait qu’Ève ait une personnalité incomplète par
rapport à Lilith : le démiurge s’est méfié d’une possible révolte féminine
et s’est bien gardé de transmettre la révélation sur son être réel à la
deuxième femme qu’il a créée. D’ailleurs, il semble bien que Lilith ait été
créée de rien , tandis qu’Ève a été créée d’une
« côte », symbolique d’Adam, lui-même créé depuis la « glèbe »
de la terre. On peut en conclure que Lilith a une nature céleste, mais qu’au contraire, Ève a une nature terrestre , d’autant plus qu’on insiste lourdement
sur le fait qu’elle n’est qu’une émanation du premier homme pour être soumise à
toutes ses volontés. Le raisonnement ainsi développé paraîtra peut-être
tortueux à certains, mais il est d’une logique implacable.
Cela dit, peu importe que Lilith soit la mère ou la femme d’Adam,
ou qu’elle soit les deux. Elle est l’image projetée hors de la conscience
humaine de la déesse des Commencements, la Vierge des Vierges en quelque sorte.
Mais cette image devenait gênante dans l’optique hébraïque orthodoxe, et c’est
pourquoi elle a été écartée des textes canoniques et ravalée au rang d’un démon
nocturne malfaisant. Elle a été littéralement refoulée .
Pourtant, il est normal qu’Adam ait eu une mère, sinon, il ne serait pas un existant humain. D’ailleurs, la fuite de Lilith ne peut-elle
pas être
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