Les révoltés de Dieu
donné à l’ existant humain, liberté, discernement, intelligence,
et surtout, puisque les humains sont à son image, tout pouvoir sur les éléments,
sur la nature, sur les végétaux, sur les animaux et, en dernière analyse, sur
la destinée de l’univers. C’est dans la Genèse, incontestablement, qu’on trouvera
l’origine de cette conception quelque peu décriée de nos jours, parce que
suspecte d’ésotérisme, qu’on appelle l’ entropie .
C’est à l’ existant humain de continuer la
création divine et de la mener à son terme, qui constitue évidemment un mystère,
puisque cette finalité, notion rejetée par tous les scientifiques, échappe, du
moins jusqu’à présent, à notre entendement.
On en vient fatalement à une conclusion (provisoire) que la
faute – et non pas le péché – commise par Adam
et Ève était programmée et voulue par Dieu
lui-même qui, omniscient et omnipotent, aurait pu l’empêcher au dernier moment.
Il fallait que ce fût ainsi. Il fallait que l’humanité primitive se révoltât
contre le « Père », la psychanalyse ayant bien mis en évidence que
tout existant doit tuer son père pour évoluer.
Adam et Ève ne vivaient pas vraiment dans le jardin d’Éden, ils y rêvaient alors que leur mission était de féconder la
terre, la « glèbe » dont ils avaient été tirés : « Le
seigneur Dieu l’expulsa du Jardin d’Éden pour cultiver le sol d’où il avait été
pris » ( Gen. III, 23, T. O. B. ). Tout
est dit dans ce verset. Et c’est le plan divin qui se met ainsi en action.
Tout a été faussé depuis une vingtaine de siècles de christianisme,
ancienne secte du judaïsme, condamnée par Rome pour sédition contre l’Empire, rejetée
par les juifs eux-mêmes, qui ne voyaient l’avenir – un avenir plutôt raciste, il
faut bien le reconnaître – que par la reconstitution d’un royaume terrestre. Mais
c’est une secte qui a réussi à s’imposer, malgré les pires persécutions et les
pires incompréhensions, sur une partie non négligeable de la planète. Son
universalité incontestable a provoqué bien des abus d’interprétation de la part
de ceux qui se prétendaient – et se prétendent toujours – les héritiers des
temps évangéliques. Il est indispensable, si l’on veut retrouver l’authenticité
du message, de revenir aux sources les plus anciennes [48] .
Certes, les desseins de Dieu sont impénétrables, a-t-on coutume de répéter. Mais
la lecture attentive et consciencieuse de la Genèse ne permet aucun doute.
Si la faute d’Adam et Ève n’était pas programmée de toute éternité
par le Créateur, quel qu’il soit, et quelque nom qu’on lui attribue, sa
toute-puissance serait une imposture, et la création elle-même serait une
absurdité inventée, un jour de mélancolie, par les existants humains jetés par hasard dans un univers incompréhensible.
5
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Caïn
Dans la mémoire universelle, l’histoire de Caïn, quelle que
soit la crédibilité qu’on lui accorde, passe pour le récit du premier meurtre
commis dans l’humanité des temps anciens. Symboliquement, le meurtre d’Abel par
son frère Caïn est ressenti comme le début absolu de la violence sur la terre, violence
qui se manifestera ensuite par toutes sortes de conflits et de guerres
inexpiables entre les peuples. Et, comme le montrait assez clairement l’ Histoire Sainte (anthologie biblique soigneusement
expurgée de tout élément gênant) enseignée dans les écoles chrétiennes jusqu’au
milieu du XX e siècle, ce meurtre illustre
à la perfection la division classique bien que très manichéenne entre le Bien
et le Mal. Abel, la victime, est le Bien maltraité par le Mal, incarné par Caïn.
Bien entendu, cette tragédie (au sens grec du terme) a été considérée comme la
conséquence directe du péché originel, la première révolte contre Dieu, la
transgression primordiale qui a introduit le désordre dans un monde que le
Créateur avait voulu harmonieux et sans histoires.
L’histoire de Caïn est devenue très vite un thème littéraire.
Le plus célèbre exemple est celui de Victor Hugo qui, dans son poème La Conscience , intégré dans La Légende des siècles , trace un extraordinaire
portrait du personnage (« Lorsqu’avec ses enfants, vêtu de peaux de bête, Caïn
se fut enfui de devant Jéhovah… ») poursuivi par le remords symbolisé par
le regard de Dieu (« L’œil était dans la tombe et regardait
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