Les révoltés de Dieu
paraît
coïncider avec l’invasion des rivages méditerranéens, de l’Égypte en
particulier, par ces mystérieux « peuples de la mer ». Et toujours
selon le prêtre de Saïs, cette invasion fut arrêtée par une coalition dirigée
par Athènes. Certes, il ne faut pas se méprendre sur la mention d’Athènes, cela
signifie seulement que les peuples de la mer Égée s’étaient ligués contre « une
puissante armée qui, partie de l’océan Atlantique, envahissait insolemment et l’Europe
et l’Asie » ( Timée ).
Mais cette expédition ambitieuse des Atlantes n’était pas conforme
au plan tracé par Poséidon lors de la fondation de son royaume insulaire. Les
Atlantes ont trahi, comme les habitants de Sodome et de Gomorrhe. Ils ont rompu
le contrat passé avec la divinité et se sont donc révoltés contre elle. « Alors,
le dieu des dieux, Zeus, qui gouverne selon les lois de la justice, dont les
regards discernent le bien et le mal, apercevant la dépravation d’un peuple
naguère si généreux, et voulant le châtier pour le ramener à la vertu et à la
sagesse, assembla tous les dieux dans la partie la plus brillante des demeures
célestes, au centre de l’univers, d’où l’on contemple tout ce qui participe de
la génération, et les ayant rassemblés, il leur dit… » Malheureusement, le
manuscrit de Critias est lacunaire et s’interrompt
juste à cet endroit, et nous ne saurons jamais quel a pu être le discours de
Zeus devant tous les Olympiens rassemblés au centre de l’univers.
Mais, compte tenu de la catastrophe qui anéantit l’île Atlantide,
et dont rend compte brièvement le Timée , toujours
d’après les mêmes sources, il est facile de l’imaginer. Il devait être semblable
au discours du Mésopotamien Enlil avant de provoquer l’assèchement précédant le
déluge, et surtout aux réflexions de Yahvé-Adonaï selon les termes de la Genèse
hébraïque. Il fallait extirper le mal, l’éradiquer complètement. D’où le
cataclysme qui engloutit l’Atlantide « en un seul jour et en une seule
nuit », abandonnant un peu partout sur les terres européennes des débris
des armées parties à la conquête du monde.
L’analogie avec la légende de la ville d’Is est flagrante. Dans
le contexte chrétien dans lequel nous est parvenue cette tradition, il s’agit
bel et bien d’un peuple orgueilleux et fier de ses richesses, qui oublie les
principes divins et s’expose ainsi au châtiment suprême. Certes, la princesse
Dahud, la « bonne sorcière », règne sur cette ville de marchands
enrichis et sans scrupule. C’est la fille du roi, née d’une ancienne liaison de
Gradlon avec une femme « de l’autre monde », donc d’un être féerique
diabolisé à l’extrême parce que s’opposant au christianisme triomphant qui est
celui de son père et des « saints fondateurs » de la Bretagne
armoricaine : Korentin, l’évêque de Quimper et Gwennolé, le fondateur de l’abbaye
de Landévennec. Selon la légende, c’est précisément Gwennolé qui est envoyé
dans la ville d’Is pour tenter d’en convertir les habitants et les faire
échapper au tragique destin qui les menace.
Mais les prédications de l’abbé de Landévennec sont vaines. Les
habitants d’Is l’insultent et le menacent. Il quitte la ville en la maudissant
au nom de Dieu, et prévient seulement le roi Gradlon qu’il devra s’enfuir trois
nuits plus tard s’il veut survivre à la catastrophe. Dans la version très
christianisée qui est la seule dont nous disposons, la princesse Dahud, éperdument
amoureuse d’un beau jeune homme en qui on reconnaît facilement le diable, lui
confie les clés de la grande digue qui protège la ville et le port. Ainsi est submergée
Is la maudite, par l’invasion des eaux marines. Seul en réchappe le roi Gradlon,
comme Loth et ses filles, malgré sa faiblesse qui l’inclinait à sauver sa fille
en dépit de tout. Et, depuis ce temps-là, la cité d’Is est « en dormition »
sous la mer, attendant quelque héros qui viendra la faire resurgir avec sa
princesse et ses richesses somptueuses. Cette légende, qui a son équivalent non
seulement au Pays de Galles et en Irlande du Nord [110] ,
mais dans de nombreuses régions de France (Massif central et Pyrénées notamment),
est le témoignage d’un bouleversement géologique, c’est évident, qui a été
interprété comme un châtiment décidé par une ou plusieurs divinités
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