Les révoltés de Dieu
l’île, était une montagne peu élevée. Là,
demeurait, avec sa femme Leucippe, Évenor, l’un des hommes que la Terre avait
autrefois engendrés. Il n’avait d’autre enfant qu’une fille nommée Klitô [107] ,
qui était nubile quand ils moururent, tous les deux. Poséidon en devint épris
et s’unit avec elle. »
Voilà qui est significatif : Évenor et Leucippe sont
des enfants de la Terre, Gaïa. Ils sont donc les représentants emblématiques des
forces telluriques, de tendance maternelle . Quant
à Poséidon, c’est un ouranien , une entité
divine céleste, chargée des forces cosmiques, classées traditionnellement comme
masculines. Tout se passe, selon le récit de Platon, comme si l’union entre les
forces telluriques et les forces cosmiques était capable d’engendrer une sorte
de « Jérusalem terrestre » à l’image de celle, céleste, promise par
les Évangiles. On retrouvera cette conception dans la tradition christique
lorsque Jésus recevra la consécration féministe de la part de Marie de Magdala dans l’énigmatique scène censée se dérouler à
Béthanie. En théorie, l’union de Poséidon et de Klitô rétablit l’harmonie
universelle bousculée par les actions incohérentes des existants humains d’après toutes les traditions
archaïques concernant la plus lointaine préhistoire. En somme, en s’unissant
avec Klitô, Poséidon restitue la situation primordiale d’avant la grande « séparation »
qu’est la prise de conscience des humains après avoir mangé le fruit de l’arbre
de la Connaissance.
Cependant, Poséidon prend ses précautions vis-à-vis des existants humains qu’il sait faibles et capables du
pire comme du meilleur. Si Klitô symbolise la déesse Terre, il faut la protéger
de toute altération : « Pour clore et isoler de toutes parts la
colline qu’elle habitait, il creusa alentour un triple fossé rempli d’eau, enserrant
deux remparts dans des replis inégaux au centre de l’île, à une égale distance
de la terre, ce qui rendait ce lieu inaccessible : car on ne connaissait
alors ni les vaisseaux, ni l’art de naviguer. » Il n’est guère difficile
de reconnaître ici une image très réaliste de la matrice de la Déesse Mère. Et,
en isolant Klitô dans une matrice originelle, Poséidon en fait la souveraine
symbolique de la nouvelle collectivité qu’il est en train de créer.
Il faut cependant s’interroger sur l’union de Poséidon et de
Klitô. N’est-elle pas un doublet savant de celle de Poséidon et Amphitrite, fille
de Nérée, et emblème des forces maritimes ? On sait que le dieu grec était
amoureux de la néréide Amphitrite, mais que celle-ci, voulant demeurer vierge –
comme nombre d’héroïnes de la Légende dorée chrétienne –, le fuyait sans cesse. Diverses versions de la légende grecque
font intervenir soit un dauphin, soit un homme du nom de Delphinos, dans ce qu’on
peut appeler la « quête » d’Amphitrite. C’est en tout cas le dauphin,
ou Delphinos, qui va chercher Amphitrite et la présente à Poséidon, permettant
à celui-ci d’épouser la « fille de mer » et d’en avoir un fils nommé
Triton. Mais il faut bien reconnaître que les généalogies mythologiques ne sont
que des « pense-bête » destinés à démontrer la continuité d’un
concept métaphysique incarné dans un réel soi-disant historique. En l’occurrence,
il s’agit bel et bien d’une référence à une civilisation de peuples de la mer.
Cependant, et toujours d’après le dialogue de Platon, lorsque
Klitô eut donné naissance à deux jumeaux, Poséidon « divisa l’île en dix
parties. Il donna à l’aîné la demeure de sa mère, avec la riche et vaste
campagne qui l’entourait […]. L’aîné, le premier roi de cet empire, fut appelé
Atlas, et c’est de lui que l’île entière et la mer Atlantique qui l’entoure
tirent leur nom. Son frère jumeau eut en partage l’extrémité de l’île, la plus
proche des Colonnes d’Hercule ». Ensuite, Poséidon et Klitô eurent encore
quatre fois des jumeaux.
Tout cela demande réflexion, notamment à propos du nom d’Atlas
donné à l’aîné des jumeaux. Dans la fable grecque, Amphitrite, pour échapper
aux recherches de Poséidon, se réfugie dans les montagnes d’Atlas, où Delphinos
la découvre et finit par la convaincre d’épouser Poséidon. On ne peut également
que penser aux Dioscures, c’est-à-dire à Castor et Pollux, qui, en Inde
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