Les révoltés de Dieu
L’attitude de ses habitants dérangeait l’harmonie
universelle planifiée par la divinité. Combien de nations, en ce début de XXI e siècle, ont compris ce message venu de la
nuit des temps ?
10
-
Jacob
De tous les personnages masculins mi-historiques, mi-légendaires,
qui apparaissent dans la Genèse, Jacob, fils d’Isaac, n’est pas le moins
surprenant. Son destin, d’une importance considérable, est entièrement rythmé
par des révoltes et des transgressions, certaines dont il était responsable, mais
la plupart provoquées par les autres , ce qui
signifie simplement qu’elles étaient voulues par Yahvé lui-même en application
d’un dessein secret qui ne se dévoile, au cours du récit, que lentement. C’est
à travers cette longue histoire de Jacob que se profile le parcours du peuple
hébreu qui, malgré ses errements et ses reniements, deviendra – on ne sait
pourquoi – le « peuple élu » non pour dominer le monde, mais pour
transmettre un message . Il va sans dire que ce
message n’est guère accessible au premier degré et que le récit biblique qui
concerne Jacob est certainement le plus obscur, le plus déroutant, le plus
complexe et finalement le plus incompréhensible de toute la Bible hébraïque.
Pour essayer de le décrypter, il convient d’en prendre trois
éléments fondamentaux qui sous-tendent les autres épisodes et qui sont les
temps forts du récit : c’est d’abord l’ usurpation de Jacob, puis le songe de Jacob , enfin la lutte avec l’ange , qui a le mérite de poser les
véritables problèmes de la révolte contre Dieu.
Car cette révolte, comme celle d’Adam et Ève, semble avoir
été « programmée ». Isaac, le fils d’Abraham, à l’âge de quarante ans
( Gen., XXV, 19 ) prend pour femme Rébecca, « fille
de Bétuel l’Araméen, et sœur de Labân, l’Araméen ». Or, comme Sarah, Rébecca
est stérile. Cette stérilité, selon le texte hébreu, dure une vingtaine d’années.
Mais « Iahvé intercède pour lui [Isaac] : Rébecca sa femme est
enceinte » ( XXV, 21 ). Cette parturition
ne va pas être de tout repos : « Les fils gigotent en son sein »
( XXV, 22 ) et Rébecca, se doutant qu’elle
attend des jumeaux, se lamente. Heureusement, Yahvé lui-même – par quel moyen, le
récit ne le dit pas – lui révèle l’avenir : « Deux nations en ton
ventre, deux patries de tes entrailles se sépareront. Une patrie plus qu’une
patrie s’affirmera : le majeur servira le mineur. » ( XXV, 23, trad. Chouraqui .) Et c’est ainsi que vont
naître des jumeaux : « Le premier sort : un roux, tout entier
comme une cape de cheveux. Il crie son nom : Ésaü. Après quoi, son frère
sort, sa main saisissant le talon d’Ésaü. Il crie son nom : Jacob. Il
talonnera. Isaac a soixante ans à leur enfantement. Les adolescents grandissent.
Et c’est Ésaü un homme qui connaît la chasse, un homme des champs. Jacob, homme
intègre, habite les tentes. » ( XXV, 25-27 .)
Le ton est donné. Il y aura nécessairement rivalité entre
les deux frères. Il faut s’interroger sur les sens des noms qui leur sont
attribués, et comme d’habitude dans les récits bibliques, tout repose sur des
jeux de mots. Ésaü ( Essav )
signifie en effet « velu », mais l’étymologie populaire a rapproché son
nom de celui du pays de Se’ir où il habitera plus tard. De plus, il sera, appelé Édom , « roux », et sera l’ancêtre
des Édomites, plus ou moins écartés voire rejetés par les Israélites, et qui
seront soumis à David, descendant de Jacob. Symboliquement, la couleur rousse, intermédiaire
entre le rouge et l’ocre, désigne le feu souterrain, un feu impur par rapport
au rouge qui est un feu céleste, générateur de vie. On prétend ainsi que Judas,
qui trahit Jésus, était roux, et chez les Égyptiens, les nouveau-nés roux
étaient souvent éliminés, en accord avec la tradition selon laquelle le dieu
destructeur et maudit Seth, « démembreur » d’Osiris, était roux. Le
fait qu’Ésaü soit « roux » et « velu » en fait un homme « sauvage »,
livré à ses instincts primaires, à ce qu’on classe actuellement comme étant le « cerveau
reptilien ». D’ailleurs, il est chasseur, volontiers sanguinaire et sera
ensuite contraint de se livrer au pillage et à la razzia pour survivre. Il est
vraiment l’antithèse de Jacob (abrégé de Ya’aqob-El ,
« que Dieu protège »), qui est un pasteur et peut
Weitere Kostenlose Bücher