Les révoltés de Dieu
lui-même. C’est par la descendance (la
« semence ») de Jacob que se perpétuera le peuple élu, chargé du « message »
originel. Et tant pis si la morale, telle qu’on la conçoit de nos jours, est
quelque peu malmenée par les éléments de cette histoire qu’on s’obstine à nous
présenter comme une « histoire sainte », partie intégrante de la
tradition chrétienne telle qu’elle a été exposée pendant une vingtaine de
siècles, sans aucune garantie et surtout sans références précises à quelques
faits authentifiés.
Ce qui est important ici dans le thème de l’ échelle de Jacob, c’est la relation qui s’établit
entre le divin et l’humain, entre le visible et l’invisible. L’échelle, en fait
un « escalier », évoque évidemment tous les gradins d’une ziggourat
mésopotamienne, gradins qui conduisent au sanctuaire dédié au dieu suprême. Le
fait, que des « messagers », c’est-à-dire des anges, montent et
descendent le long de cet escalier, montre que c’est un endroit privilégié, une
sorte de nemeton (clairière sacrée, projection
idéale du ciel sur la terre) d’après la tradition druidique des Celtes, où s’effectuent
les transcendances les plus subtiles.
Et Jacob dort, la tête appuyée sur une pierre, ce béthel , dont le nom signifie « maison de Dieu »,
et dont on a fait depuis le mot bétyle . Cela
rappelle évidemment les menhirs, ces pierres levées qui ne sont pas celtes, puisqu’elles
sont antérieures d’au moins deux mille ans à l’apparition des peuples celtes, mais
qui ont été réutilisées par eux. Symboliquement, ces « pierres levées »,
continuées sous la forme de clochers ou de minarets, sont des liens entre le
ciel et la terre, entre le divin et l’humain. C’est pourquoi Jacob, en se
réveillant, ne trouve rien de mieux que de dresser cette pierre sur laquelle sa
tête a reposé pendant son sommeil – et son songe – et d’en faire un autel à
Yahvé. En fait il s’agissait d’une coutume très répandue dans tout le
Moyen-Orient (on en voit de nombreux exemples, tant à Byblos qu’à Assur), qui
prêtait à diverses liturgies considérées comme impies par les Hébreux. C’est
pourquoi, plus tard, la législation deutéronomique fera disparaître ces pierres ;
il en sera également ainsi au temps de Charlemagne, dans le cadre d’un christianisme
qui veut se débarrasser d’un encombrant substrat païen. Mais en l’occurrence, l’endroit
où Jacob érige cette stèle, non loin de Jérusalem, deviendra l’un des lieux
sacrés de l’antique Israël.
Réel ou pas, cet épisode parle bien de la prise de
conscience par Jacob de la mission dont il est investi et qu’il a le devoir d’accomplir.
Ce ne sera pas sans difficultés, ni même sans aberrations, comme si les « voies
de Dieu » étaient non seulement impénétrables mais contraires à toutes les
règles établies par le genre humain, ou tout au moins en porte à faux vis-à-vis
d’une certaine morale. Car Jacob, pendant son séjour chez son oncle Labân, va
se trouver confronté aux pires conditions. C’est d’ailleurs là où le récit
biblique devient parfois odieux. Tout y est tromperie, surenchère, ruse, mensonge
et dérobade.
Tout cela est cependant très logique : Jacob est un usurpateur , il a transgressé la loi divine qui
voulait que ce fût l’aîné à qui fût transmis le message. Il doit payer le prix
de la faute qu’il a commise, même si cette faute se révèle en définitive être
un acte bénéfique et constructeur. Le voici donc chez son oncle, Labân, le
frère de sa mère, mais celui-ci ne se conduit guère en parent attentionné et
affectueux. Jacob est tombé amoureux de la cadette des filles de Labân, Rachel :
pour l’obtenir, il lui faudra pendant sept ans (nombre évidemment symbolique) être
le serviteur docile – et non rétribué – de son oncle. Son salaire, à la fin du
cycle représenté par ce nombre sept , sera d’épouser
l’une des filles de Labân. Mais celui-ci, machiavélique avant l’heure, va
tromper son gendre avec cynisme pour en tirer parti le plus avantageusement possible.
Le soir des noces, étant donné que la coutume veut que la fiancée soit toujours
voilée devant son « promis », il substitue son aînée Léa à la cadette
Rachel dans le lit de Jacob. On imagine la fureur de Jacob, le matin, en
découvrant Léa allongée près de lui : « Que m’as-tu donc fait ?
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