Les révoltés de Dieu
à
bien des commentaires, témoigne de l’intensité de cette rivalité. Un jour, Ruben,
fils de Léa, ramène à sa mère des mandragores. Alors, « Rachel dit à Léa :
donne-moi donc des mandragores de ton fils. Elle lui dit : est-ce peu d’avoir
pris mon homme pour prendre aussi les mandragores de mon fils ? Rachel dit :
Ainsi, il couchera avec toi cette nuit, contre les mandragores de ton fils »
( XXX, 14-15 ). Les termes du marché sont
parfaitement clairs, mais la signification de l’épisode n’en est que plus
obscure.
On connaît la valeur symbolique de la mandragore, plante qui
naît, selon la croyance populaire, du sperme ultime des pendus. Sa racine
évoque l’aspect d’un « petit homme », un homoncule ,
et elle a donné lieu à bien des légendes. De plus, cette racine, comme le ginseng d’Extrême-Orient, passe pour avoir des
vertus aphrodisiaques. Compte tenu de cette réputation de la mandragore, il est
permis d’interpréter ainsi la scène : mon mâle contre son substitut , la mandragore… Car, dans
ces conditions, la mandragore est un olisbos , vulgairement
appelé godemiché , en tant que consolation ou
compensation pour la carence – provisoire – du mâle. Ce n’est qu’une hypothèse,
mais elle apparaît logique dans le contexte du récit biblique, et elle permet
de donner une explication rationnelle à cet épisode entouré de mystère.
Quoi qu’il en soit, après avoir servi pendant deux fois sept
années son oncle Labân, Jacob réclame sa liberté et son salaire. Labân lui
répond cyniquement qu’il a déjà reçu ses deux filles et qu’il n’a pas à
réclamer davantage. Alors, comprenant la rouerie de Labân, Jacob engage avec
lui une discussion qui ressemble fort à une négociation frauduleuse entre deux
marchands de tapis désireux de se rouler l’un l’autre. Jacob condescend à demeurer
encore quelques semaines auprès de son oncle. Quand il partira, il aura droit
aux bêtes du troupeau qui seront tachetées et rayées, Labân se contentant des
autres. Mais par des opérations qu’il faut bien qualifier de magiques, Jacob se
réserve les plus belles bêtes du troupeau, ce qui déclenche la colère des fils
de Labân. Il décide alors de s’enfuir dans les plus brefs délais avec tout ce
qu’il a acquis par sa magie. Ses deux femmes sont d’ailleurs pleinement d’accord
avec lui, constatant que leur père ne leur a pas fourni la dot à laquelle elles
avaient droit. En plus, Rachel s’empare des teraphîm de son père, ces « idoles » familières, ces « pénates » que
Labân possédait, ce qui prouve avec éloquence que le culte de Yahvé se doublait,
chez les patriarches de cette époque, de différents cultes araméens ou mésopotamiens
transmis de génération en génération. Lorsque Labân, furieux, vient inspecter
les tentes de Jacob et de ses filles pour s’assurer que Jacob n’emporte rien
qui lui appartienne, Rachel s’assoit sur les teraphîm ,
refusant de se lever devant son père « parce qu’elle a ce qui arrive aux
femmes » ( XXXI, 35 ). Labân n’insiste pas,
étant donné la terreur du sang menstruel qui caractérise la mentalité hébraïque.
Finalement, Jacob conclut un pacte avec son oncle et tous deux prennent un
engagement solennel autour d’un monticule de pierres, un galgal , qu’ils viennent d’élever, signe symbolique
de leur séparation à l’amiable.
Et Jacob, avec ses deux femmes, ses concubines, ses enfants
et ses troupeaux retourne vers le pays d’Isaac et de Rébecca. Son désir le plus
cher est de conclure une paix durable avec son frère Ésaü. Pour ce faire, il
envoie des messagers à Ésaü qui vont lui proposer réparation pour le tort qu’il
lui a fait. Il fait préparer « deux cents caprins, vingt bouquins, deux
cents brebis, vingt béliers, trente chamelles laitières et chamelons, quarante
vaches, dix bouvillons, vingt ânesses, dix ânons » ( XXXII, 15-16 ). Et il envoie cette offrande vers Ésaü
à la charge de ses serviteurs. Puis « il se lève cette nuit-là, prend ses
deux femmes, ses domestiques, ses onze enfants [Benjamin n’est pas encore né, et
Dina n’est pas comptée], et passe la passe du Iaboq [le Jourdain], frontière
avec le pays de Canaan. Il les prend, leur fait passer le torrent et fait
passer ce qui est à lui. Jacob reste seul » ( XXXII,
23-25 ).
En fait, Jacob n’en mène pas large. Il craint les réactions
de son frère. Il a peur. Et c’est alors
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