Les révoltés de Dieu
bout de ses
possibilités.
Un célèbre agnostique du XX e siècle,
André Breton, initiateur et théoricien du surréalisme, exprimait le modeste vœu
de « n’avoir pas démérité de l’aventure humaine » à la fin d’entretiens
radiophoniques réalisés au milieu du siècle. Jacob-Israël est de ces existants humains qui peuvent se glorifier de ne pas
avoir démérité de l’aventure humaine : ils ne se sont jamais pris pour
Dieu (comme l’ont fait nombre de rois, d’empereurs et de dictateurs, tels
Alexandre le Grand, Hitler et Staline), mais ont été capables de soutenir la provocation de Dieu . En ce sens, ils
donnent la preuve qu’ils sont dans leur rôle : continuer
la création divine . Car telle était la mission confiée à l’homme lorsque
Yahvé a créé Adam et Ève et les a chassés du jardin d’Éden pour qu’ils fassent
fructifier la terre.
Cette mission, Jacob en est à présent investi, et de façon définitive.
Il a donné la preuve qu’il avait compris ce que Dieu attendait de lui. Car, on
l’oublie un peu trop, Dieu vomit les tièdes . Les
Évangiles le démontreront amplement. Et l’on sait également que les plus grands
« saints » ont bien souvent été les plus grands « pécheurs »
– saint Augustin en est un exemple remarquable – et cela en conformité avec la
parabole de l’enfant prodigue.
Mais c’est aussi une prise de conscience : Jacob ne
fuit pas ses responsabilités. Chaque fois qu’il a transgressé les conventions
en usage, il a assumé les conséquences qui découlaient de ces transgressions. Or,
la lutte avec Dieu est l’ultime épreuve à laquelle il est confronté. Dieu
reconnaît en lui l’ homme dans toute sa
plénitude : Jacob est réellement libre et à l’image du créateur. Telle est la leçon qu’on
peut tirer de ce récit biblique surgi de la nuit des temps avec tout son
mystère et toute son ambiguïté.
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Œdipe
En survolant l’histoire de l’humanité et les mythes fondamentaux
qu’elle génère, on doit convenir que tous les existants ne peuvent pas, comme Jacob, tenir tête à Dieu. Seuls quelques privilégiés y
parviennent, et cela après de longues épreuves qui sont d’ailleurs autant d’initiations,
c’est-à-dire de franchissements de seuils. La fable grecque d’Œdipe est à cet
égard particulièrement éclairante, à condition qu’on veuille bien la débarrasser
– sans la nier – de l’interprétation psychanalytique qui en a été faite par
Freud. Car Œdipe est l’exemple parfait de l’humain confronté au divin. Un
humain qui, par son orgueil – ou plutôt sa vanité et son appétit de pouvoir –, se
trouve accablé lamentablement parce qu’il n’a jamais été véritablement maturé et qu’il en est resté au stade des instincts
primaires, ceux qui se logent inconsciemment dans le cerveau reptilien.
La plus ancienne relation de la légende d’Œdipe est Œdipe roi , la pièce de théâtre de Sophocle, datant
du milieu du V e siècle avant notre ère. Cela
ne veut pas dire qu’il n’ait pas existé auparavant d’œuvre littéraire sur le
même sujet, mais il faut toujours reconnaître que la mythologie grecque, même
dans la Théogonie d’Hésiode et dans les poèmes
homériques, nous est parvenue sous une forme « intellectuelle »,
« artistique », probablement déformée par rapport aux archétypes. Cependant,
le fait que ce soit une pièce de théâtre, plus exactement une « tragédie »,
incite à croire que le schéma primitif de la fable est respecté. En effet, une
tragédie, chez les Grecs de l’Antiquité, est encore une liturgie religieuse :
c’est littéralement le « sacrifice du bouc » autrement dit la
représentation d’un sacrifice sanglant. Le théâtre, en Grèce comme dans l’Europe
du Moyen Âge, est le prolongement de longs offices religieux. Les représentations
théâtrales avaient lieu lors des grandes fêtes, et uniquement en ces occasions.
D’où le caractère sacré de ces tragédies qui témoignent d’antiques rituels liés
à des mythes fondateurs.
Il faut donc examiner l’histoire d’Œdipe, qui est liée non
seulement à l’oracle de Delphes, mais à l’histoire archaïque des cités rivales
de Thèbes, de Corinthe et d’Athènes, à travers le canevas dramatique légué par
Sophocle. Œdipe est le fils de Jocaste et de Laïos, reine et roi de Thèbes. C’est
Jocaste elle-même qui s’exprime : « Un oracle fut dicté
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