Les révoltés de Dieu
jadis à Laïos,
je ne dirai pas par Apollon lui-même, mais par un de ses ministres. Cet oracle
annonçait que sa destinée le condamnait à périr de la main d’un fils qu’il
aurait de moi […]. Pour son fils, les trois jours qui suivirent la naissance s’étaient
à peine écoulés, que, lui liant les pieds, Laïos le fit jeter, par des mains
étrangères, dans le vallon d’une montagne inaccessible » ( Œdipe roi ). Il s’agit là d’une authentique révolte
contre Dieu : le père, avec la complicité de la mère, veut déjouer une
destinée fatale fixée de toute éternité.
Mais tout ne se passe pas comme prévu. Dans la scène finale
de la tragédie, Phorbas, messager de Corinthe, vient annoncer à Œdipe la mort
de ceux qu’il croit être ses parents. Phorbas parle avec un vieux berger
thébain : « Quand, sur le mont Cithéron, nous conduisions, dit le
messager, lui deux troupeaux, et moi un seul, je le voyais souvent. »
Phorbas s’adresse alors directement au berger : « Te rappelles-tu que
tu me remis un enfant pour l’élever comme mon propre fils ? » Le
berger se souvient en effet que, empli de pitié pour le nouveau-né dont il
avait percé les pieds afin de le suspendre à un arbre, il n’avait pu se résoudre
à l’abandonner aux bêtes sauvages. Il apporte la confirmation qu’il lui a
confié l’enfant « aux pieds enflés » (c’est le sens du nom d’Œdipe). Phorbas
corrobore les paroles du berger et explique qu’ayant pris l’enfant avec lui, il
est allé le porter à Polybe et Mérope, roi et reine de Corinthe qui se
lamentaient de ne pas avoir de descendance. Polybe et Mérope adoptèrent et
élevèrent le jeune garçon comme s’il avait été leur propre fils.
Des textes postérieurs à la tragédie de Sophocle s’étendent
sur des détails. À la cour du roi Polybe, Œdipe devient un jeune homme ayant
toutes les qualités. Les officiers du roi admirent en plusieurs occasions son
intelligence et son adresse. Mais, vainqueur dans tous les jeux du gymnase, il
excite fatalement la jalousie de ses compagnons. Un jour, l’un d’entre eux, pour
le mortifier, lui dit publiquement qu’il n’est qu’un enfant trouvé. Une telle
anecdote se retrouve fréquemment dans les récits mythologiques et dans les
contes populaires [112] . Œdipe est profondément
atteint par cette flèche empoisonnée, et cela va modifier tout le cours de son
existence. Car, jusqu’à présent, la révolte contre Dieu était celle de ses
parents : elle va maintenant devenir la sienne. Ayant interrogé à maintes
reprises celle qu’il considère comme sa mère, il n’obtient aucune réponse :
Mérope le chérit vraiment comme s’il était son fils biologique et élude toutes
les présomptions avancées par Œdipe. Désespéré et anxieux d’en savoir plus, celui-ci
va consulter l’oracle de Delphes. Le message qu’il reçoit n’est guère rassurant :
« Ne reparais plus dans ton pays natal si tu veux éviter de tuer ton père
et de devenir l’époux de ta mère. »
Terrifié par cette prophétie, Œdipe va se précipiter dans le
piège que lui tendent les dieux et que Jean Cocteau a admirablement décrit dans
sa pièce de théâtre La Machine infernale (dont
le titre, à lui tout seul, résume la tragédie vécue par le malheureux héros). Résolu
de ne jamais retourner à Corinthe qu’il considère comme sa patrie, il s’en va
vers la Phocide. Or, arrivé près du bourg de Delphes, il rencontre, dans une
étroite vallée qui ne permet qu’un passage à la fois, un char qui vient en sens
inverse, transportant quatre personnes, dont un vieillard qui lui demande
sèchement et violemment de s’écarter pour le laisser passer. Fier et
orgueilleux qu’il est, Œdipe refuse. La querelle s’envenimant, le vieillard et
lui en viennent à se battre. Le vieillard est tué et Œdipe poursuit son chemin,
bien persuadé d’avoir, au péril de sa vie, sauvé son honneur en état de légitime
défense.
La psychanalyse s’est emparée de tous ces détails, et il
faut bien avouer qu’ils ont leur importance. Comme le dit Paul Diel dans son
remarquable ouvrage, Le Symbolisme dans la mythologie
grecque [113] , « les tendons coupés
à Œdipe enfant symbolisent une diminution des ressources de l’âme, une
déformation psychique qui caractérisa le héros toute sa vie […]. Le mythe
compare ainsi la démarche de l’homme à sa conduite psychique. […] Or, l’homme
psychiquement
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