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Les révoltés de Dieu

Les révoltés de Dieu

Titel: Les révoltés de Dieu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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que se passe l’épisode le plus étrange
et le plus mystérieux de l’histoire de Jacob, cette « lutte avec l’ange »,
selon la dénomination universelle, mais qui est bien autre chose, quelque chose
d’essentiel pour Jacob et pour l’humanité entière.
    Il est donc seul. Or, « un homme lutte avec lui jusqu’à
la montée de l’aube. Il [Jacob] voit qu’il ne peut rien contre lui. Il [l’homme]
le touche à la paume de sa cuisse. La paume de la cuisse de Jacob se disloque
dans sa lutte contre lui [l’homme]. Il [Jacob] dit : envoie-moi [laisse-moi] :
oui, l’aube est montée. Il [l’homme] dit : je ne t’enverrai que si tu me
bénis. Il [l’homme] lui dit : quel est ton nom ? Il [Jacob] dit :
Jacob. Il [l’homme] dit : ton nom ne se dira plus Jacob, mais Israël – lutteur
d’El ; oui, tu as lutté avec Élohîm et avec les hommes et tu as pu. Jacob
questionne et dit : rapporte-moi donc ton nom. Il [l’homme] dit : pourquoi
cela demandes-tu mon nom ? Et il [l’homme] le bénit là. Jacob crie le nom
du lieu : Péniel – face d’El – : Oui, j’ai vu Élohîm faces à faces et
mon être est secouru ! Le soleil brille sur lui lorsqu’il passe Péniel :
il boite de la cuisse » ( Gen., XXXII, 25-32 ).
La traduction d’André Chouraqui est ici littérale et ne s’embarrasse pas d’exégèses
d’aucune sorte.
    Le texte est ambigu et nécessite des commentaires. L’ homme dont il s’agit ici n’est pas un humain bien
entendu, ni même un ange comme on le dit couramment, mais Dieu lui-même, c’est
formellement exprimé. Donc Jacob ne lutte pas avec un « ange » mais
avec Yahvé en personne. Et il ne se laisse pas faire, bien qu’il soit meurtri à
la cuisse et qu’il sache qu’il ne sera pas le plus fort. Cette meurtrissure à
la cuisse n’est pas innocente : on la retrouve dans de nombreux récits
mythologiques où l’ existant humain est
confronté à une divinité, soit par un combat, soit par une relation sexuelle (qui
est en elle-même une sorte de combat entre deux énergies opposées). Anchise, le
père d’Énée, est paralysé des jambes parce qu’il a frayé avec la déesse Vénus, et
tous ceux qui ont eu un contact direct avec une divinité ont conservé une
« marque », en fait une tare, qui témoigne de cette conjonction
surnaturelle. L’ existant humain, « fini »
et « mortel », ne peut pas se tirer indemne d’une confrontation avec
le divin, infini par essence, et immortel. Il doit payer le prix de cette « illumination »,
car c’en est une.
    C’est la raison pour laquelle Jacob est blessé à la cuisse. On
pense alors à l’origine du nom de Gargantua [111] . On peut également
faire référence à Héphaïstos, le dieu grec du feu souterrain, le forgeron
suprême, boiteux parce que Zeus l’a précipité du haut de l’Olympe. Mais cette
blessure révèle son habileté, son « art », indispensable à toute
humanité civilisée. De plus, le boiteux est, dans tous les contes populaires d’origine
mythologique, celui qui court le plus vite, de la même façon que l’aveugle (ou
le borgne, comme Odin-Wotan) voit ce que les
autres ne voient pas, ou encore de la même façon que le manchot (comme le Tyrr
germanique ou le Mucius Scaevola romain) est un combattant redoutable. Dans le
récit biblique, il n’est fait aucune autre allusion à cette claudication qui
afflige Jacob après sa « lutte avec l’ange ». Mais, un peu plus tard,
après la réconciliation des deux frères, Élohîm se fait encore entendre à Jacob
et lui répète qu’il n’est plus le même homme, qu’il est marqué à jamais par la
lutte qu’il a entreprise contre lui : « Ton nom, Jacob (Ia’acob), ton
nom ne sera plus crié Jacob : oui, Israël est ton nom. » ( XXXV, 10 .) Et l’avenir de sa lignée est dévoilé :
« Fructifie, multiplie ! Une nation et une assemblée de nations
seront de toi. Des rois de tes lombes sortiront. La terre que j’ai donnée à
Abraham, à Isaac, je te la donne et à ta semence après toi, je donne la terre. »
( XXXV, 11-12 .)
    Il ne faut pas tout prendre à la lettre. Le combat de Jacob
avec « l’homme » est mythique et symbolique. Il s’agit d’une
confrontation au plus haut degré de l’ existant humain avec Dieu. Et Jacob, même s’il demeure inférieur (sa cuisse démise en
témoigne), sort vainqueur de cette épreuve, et Yahvé le reconnaît. Il a osé résister , il est allé jusqu’au

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