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Les révoltés de Dieu

Les révoltés de Dieu

Titel: Les révoltés de Dieu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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d’Eurydice et de sa faiblesse, mourra bientôt, déchiré
et lacéré par les Bacchantes qu’il a longtemps méprisées. Il sera donc démembré,
sans aucun espoir d’être rétabli dans son intégralité. Mais n’était-il pas déjà
démembré de son vivant ? Œdipe n’est pas « éclaté », lui, il est
au contraire tout entier concentré sur son ego ,
il est sûr de lui, et c’est ce qui le perdra, du moins en apparence. Car il ne
faut peut-être pas prendre toute cette histoire à la lettre.
    Le schéma œdipien se retrouve sous de multiples variantes
dans de nombreuses traditions, savantes ou populaires, comme en témoigne un
conte oral provençal recueilli à la fin du XIX e  siècle [114] .
Il s’agit d’une veuve, très riche, qui veille jalousement sur un fils qu’elle
aime d’une façon trop exclusive. En fait, elle le châtre, surveillant ses
moindres gestes, comme si elle voulait se le réserver pour elle-même. Elle
pourrait incarner la Sphinge , cet aspect
dévorateur de la mère phallique. Lorsqu’elle s’aperçoit que son fils a des
relations sexuelles avec sa jeune domestique, elle la congédie brutalement, profitant
d’une absence momentanée de son fils. Elle prend place dans le lit de la
servante dans le but de donner au jeune homme une sévère leçon de morale. Malheureusement,
elle s’endort, et lorsque le fils revient au logis, quelque peu éméché et très
excité, il se précipite aveuglément sur la femme qui occupe son lit, croyant qu’il
s’agit de la servante, et la viole littéralement sans que celle-ci ait le temps
de réagir.
    En soi, cela ne serait qu’un incident sans gravité. Mais il
y a une conséquence fâcheuse : la dame veuve s’aperçoit bientôt qu’elle
est enceinte. Elle parvient néanmoins à cacher sa grossesse et accouche dans le
plus grand secret d’une petite fille qu’elle fait élever au loin par une femme
de confiance. Les années passent. Le sentiment maternel de la veuve prend le
dessus sur sa honte. Elle explique à son fils qu’elle s’occupe d’une jeune
orpheline et qu’elle voudrait bien la faire venir à la maison pour parfaire son
éducation.
    Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes si le
fils ne tombait pas follement amoureux de la jeune fille, allant jusqu’à
vouloir l’épouser. La mère essaye de l’en dissuader, mais rien n’y fait. Le
jour du mariage, « la cérémonie se fit à la mairie et à l’église. En
rentrant à la maison, la mère, affolée par son désespoir, monta dans sa chambre,
écrivit sur un morceau de papier l’horrible vérité et se tira un coup de
pistolet dans le cœur ». Le fils trouve alors sa mère morte, lit la
confession de celle-ci et, dans son désespoir, se tue également. « La
jeune veuve les fit enterrer séparément et voulut qu’on écrivît sur la tombe de
l’un : ici repose mon époux, mon frère et mon
père  ; et sur celle de l’autre : ci-gît
ma mère, la mère et la femme de mon mari. Puis elle entra dans un
couvent pour y passer le reste de ses jours. »
    Cette tragique et pitoyable aventure, peut-être inspirée par
un fait divers réel, contient les principaux éléments du schéma œdipien. Certes,
ce n’est pas à cause d’un oracle que toute cette « machine infernale »
se déclenche, mais le fait que la dame en question soit une mère possessive est
une sorte de fatalité qui s’acharne contre
tous les protagonistes de l’histoire. La mère est littéralement possédée par l’ Anagkê telle que les Grecs la ressentaient. Elle
tombe dans un premier piège du destin en voulant garder son fils pour elle et
le préserver de toute souillure « morale ». Le deuxième piège est
plus redoutable, puisqu’elle amène le loup dans la bergerie en faisant venir sa
fille sous son toit. Désormais, tout est joué. Et comme Jocaste, la veuve, par
ailleurs fort respectable, se fait broyer par la fatalité, entraînant avec elle
son malheureux fils.
    En dernière analyse, la légende d’Œdipe, toute tragique qu’elle
paraisse, est beaucoup plus sereine, pour peu qu’on veuille bien mettre à l’écart
l’interprétation psychanalytique de l’aveuglement volontaire comme un substitut
de la castration, ou encore celle, plus traditionnelle, qui explique cet aveuglement
comme la prise de conscience d’une indignité morale. En fait, la tragédie d’Œdipe
se termine bien, même si ses deux fils Étéocle et Polynice vont s’entre-tuer,

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