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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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et de prudence que s’il avait été le sien.
Mais je dois dire aussi que je n’avais cessé de le soutenir dans cette tâche,
en le venant visiter le plus souvent que j’avais pu et en répondant promptement
à ses lettres dans le plus grand détail.
    Il me tardait de lui parler de son mariage tant par amitié pour
lui et la félicité qu’il s’en promettait que pour envisager les conséquences
que cette union pourrait avoir pour Orbieu. Car pour peu qu’on ait quelque
expérience de la vie, on ne peut faillir à entendre que ces conséquences
pouvaient être, selon le cas, très heureuses ou très fâcheuses. Mais Monsieur
de Saint-Clair, après ces comptes, me voulut à force forcée parler d’un projet
sur le lin qui lui tenait fort à cœur.
    Beaucoup de lin était produit à Orbieu, d’abord en notre
domaine propre et aussi sur les parcelles qui appartenaient à nos manants
auxquels il donnait certes beaucoup de travail, mais aussi un appoint en
pécunes qui n’était point négligeable et pouvait être, à son sentiment,
augmenté.
    Après l’arrachage du lin, les fibres sont, comme on sait,
soumises à des opérations qui requièrent beaucoup de soins. Après quoi, elles
sont filées au cours des longues soirées d’hiver. C’est alors qu’un fripon de
marchand vient de la ville qui, prétextant que ce lin est de qualité
inférieure, et qu’il n’a pas été bien traité, l’achète à nos manants à un prix
dérisoire et c’est pitié quand on pense à la somme d’efforts qu’il a coûtée.
    Le lin de mon domaine propre dont le traitement, à vrai
dire, est autrement soigné, est vendu, par nos soins à un marchand de Dreux à
peu près le double de celui que nos manants reçoivent. D’où l’idée de
Saint-Clair d’apprendre auxdits manants à mieux effectuer les opérations qui
précèdent le filage, le but étant de leur acheter le fil à un prix plus élevé
que leur marchand ne le paye afin de le vendre avec le nôtre.
    — Monsieur de Saint-Clair, dis-je, je vois bien le
profit que nos manants et nous-mêmes pourrions retirer de ce projet. Mais
n’est-ce pas beaucoup de peine à se donner que de leur apprendre à mieux
choisir les graines et le terrain, à fumer leurs semis, ce qu’ils font peu et
mal, et surtout à mener à bien le rouissage et le teillage qui
sont opérations si délicates.
    Belle lectrice, avant que d’aller plus avant, peux-je vous
dire ce qu’on entend par là. Dans nos campagnes, quand on a arraché le lin
(lequel soit dit en passant donne au printemps une fleur bleue ou vert glauque
qui offre aux yeux un émerveillable spectacle), il le faut rouir, c’est-à-dire
qu’il convient de dégager les fibres de la gangue gommeuse qui les entoure. Et
pour cela, on dispose les fibres dans une eau vive qui mène à bien cette
opération. Toutefois, il y faut de l’attention, et ne laver pas trop, ni trop
peu, car si on lave trop peu, il reste de cette gomme indésirable et si on lave
trop, on finit par feutrer.
    Le rouissage fait, il faut teiller : on
emprisonne les fibres dans la fente d’une planche d’une toise de haut afin de
les bien tenir, et on les frappe dans le sens de la longueur avec un écang,
petite plaquette de bois munie d’une arête. Cette opération a pour but de
séparer des fibres, le bois et l’écorce, et n’est tout à fait achevée que
lorsqu’on peigne ensuite lesdites fibres. Le travail de la fileuse peut alors,
et alors seulement, commencer.
    — Il y faudra, en effet, de la peine, Monsieur le
Comte, dit Saint-Clair gravement. Et pas plus que le Monde, cela ne sera fait
en un jour. Mais nous pourrions commencer par construire, à partir de notre
ruisseau, et à tout petits frais, un bief de dérivation dallé et maçonné, où le
rouissage se fera d’une façon plus propre et moins confuse que dans la boue et
les galets. Et puisque l’eau vive ne nous manque pas, nous pourrions construire
aussi, comme les Flamands, un moulin à teiller qui exécutera pour tous le
teillage infiniment mieux et plus vite qu’on ne le fait à la main. Les deux
constructions, Monsieur le Comte, seront d’évidence fort profitables et à
nous-mêmes et à nos manants.
    « À nous-mêmes plus qu’à nos manants, pensai-je en mon
for, car si le rouissage se fait dans notre bief et le teillage dans notre
moulin à teiller, n’allons-nous pas prélever notre quote-part, serait-elle
minime, sur leur récolte, comme nous le faisons pour notre

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