Les Roses De La Vie
de n’en rien faire sous le prétexte que le sable, devenu
instable et mouvant, pourrait alors à son tour les prendre au piège et les
étouffer. À la vérité, je craignais surtout que, ne trouvant rien, ils se sentissent
robés de leur victoire, étant quant à moi bien convaincu que les loups, étant
bêtes infiniment rusées, avaient déserté leurs repaires avant même qu’on s’en
approchât.
Pendant les quinze jours que dura la guerre des loups,
Monsieur de Peyrolles, voyant sa fille languir, pressa les préparatifs de son
mariage, lequel se célébra le quinze février en l’église d’Orbieu. La veille de
ce jour qui devait être celui où Saint-Clair allait toucher à ses humaines
félicités, il montra cependant une face tant chaffourrée de soucis que, le
tirant à part et lui parlant au bec à bec, je lui demandai la raison de cet
inexplicable chagrin.
— Ah ! Monsieur le Comte ! dit-il, une larme
au bord des cils. Je fus visiter ce matin Monsieur de Peyrolles, lequel, en sa
grande bonté, voulut bien me conduire dans les appartements de sa fille,
laquelle essayait son attifure de mariée. Ah ! Monsieur le Comte !
Vous ne sauriez imaginer l’émerveillable vertugadin que ma belle portait !
C’était tout soie et satin ! Sans compter les perles de son corps de
cotte, et un col en dentelle de Venise, et des bijoux que je ne saurais
décrire, en bref, un appareil digne d’une princesse à cent mille livres de
rentes. Je ne songeai de prime qu’à l’admirer. Mais quand je l’eus quittée, je
m’avisai que ce que j’aurai demain de plus propre à me mettre sur le dos
n’était guère que guenilles comparé à cette splendide vêture. J’eus grande
honte de me devoir montrer à ce désavantage à côté de toutes ces beautés.
— Mais, mon ami, dis-je béant, vous ne faillez pas, ce
jour d’hui en pécunes. D’où vient que vous n’avez pas pensé, quand il était
temps encore, à vous parer d’une vêture qui fût digne de votre rang ?
— C’est que je croyais tout naïvement, nous mariant
dans une église de village, que tout allait se faire dans la simplicité.
— Dans la simplicité ? m’écriai-je en riant. Avec
Monsieur de Peyrolles ! On en est loin ! Le bonhomme aura voulu dorer
le mariage de sa fille comme il a doré son carrosse. Et comment lui en tenir
rigueur ? Laurena est tout ce qui lui reste et il l’aime de grande amour.
— Sotte bête que je suis ! s’écria Saint-Clair en
se frappant la tête. Mais la façon dont Monsieur de Peyrolles avait orné et
meublé le manoir de Rapinaud que vous avez été assez bon pour nous donner
m’aurait dû mettre puce à l’oreille qu’il mettrait la même somptuosité en
l’attifure de Laurena. Et maintenant, que faire ? Au côté de ma belle, je
ferai figure de gueux. Le mal est sans remède.
— Il ne l’est pas, baron, dis-je en riant. Puisque nous
sommes, vous et moi de même taille et corpulence, plaise à vous d’accepter
l’offre que je vous fais de bon cœur de vous prêter une de mes vêtures,
laquelle est céans tout à fait déconnue, puisque je ne l’ai jamais portée à
Orbieu.
Il n’y eut pas faute ici d’excuses, d’insistances, de refus,
de compliments à l’infini. Mais à la parfin, Saint-Clair consentit à me suivre
dans ma chambre et là, avec l’aide de Louison et de quelques épingles fort bien
placées et cachées. Monsieur de Saint-Clair se mit à resplendir en une vêture
de soie azur qui lui allait à merveille.
— Monsieur le Comte, dit Louison, quand Saint-Clair
nous eut quittés, rayonnant en sa gloire, n’est-ce pas là le pourpoint et le
haut-de-chausses que vous comptiez mettre demain pour le mariage de Monsieur de
Saint-Clair ?
— Tout justement, dis-je, non sans une ombre de regret.
— Et vous-même, Monsieur le Comte, que
porterez-vous ?
— L’habit que tu me vois.
— Il n’est point mal assurément, dit Louison en me
toisant, mais il ne vaut pas celui que vous avez baillé à Monsieur de
Saint-Clair. Monsieur, était-ce bien raisonnable de déshabiller Pierre pour
habiller Paul ? Tant est, reprit-elle, qu’à ce mariage-là, le baron sera
plus élégant que le comte et l’intendant plus richement vêtu que le seigneur.
Cependant, dit-elle, vous pourriez mettre au moins sur votre poitrine la croix
de Chevalier du Saint-Esprit.
— Je le ferai de toute façon. J’ai promis au curé de la
porter.
— Cela fera quelque différence,
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