Les Roses De La Vie
Claude,
hélas, je n’ai rien appris en lisant ce poulet. J’ai reçu hier une missive de
la duchesse douairière de Guise où elle me contait les brouilleries de la
connétable. Ma bonne marraine me demandait d’intervenir auprès de Votre Majesté
pour que le mariage se fît, de peur que ce pauvre Claude ne se livrât à un
éclat.
— Et qu’allez-vous faire à ce sujet ? dit Louis.
— Ce qu’elle désire que je fasse, Sire.
— Comment cela ? dit Louis avec un haut-le-corps.
Et il ajouta :
— Est-ce Siorac qui parle ainsi ou le demi-frère de
Chevreuse ?
— C’est Siorac, dis-je avec chaleur. Siorac, dis-je,
qui n’a jamais eu à cœur que les intérêts de Votre Majesté, lesquels passent et
passeront toujours en son estimation avant ceux de sa famille.
— Et à votre sentiment, dit Louis avec quelque roideur,
que commande mon intérêt en ce prédicament ?
Il n’était pas facile de supporter le regard de Louis quand
il était dans ses colères. Toutefois, je me tins au parti que j’avais résolu et
me jetai à l’eau.
— Sire, dis-je, ce mariage est désastreux à tous
égards, mais il n’est pas dans l’intérêt de Votre Majesté de l’interdire.
— Comment cela ? dit Louis, la crête fort
redressée. Dois-je, moi, redouter un éclat du duc de Chevreuse ?
— Nenni, dis-je, Claude n’est point fait de ce mauvais
métal. Il est et sera toujours fidèle à son roi. Mais quant à moi, Sire, j’opine
que c’est affaire à la conscience de Votre Majesté de savoir si Elle désire
empêcher un mariage qui permettrait à deux personnes qui vivent habituellement
dans le péché de se réconcilier avec Dieu.
Cet argument ne fut pas trouvé dans le chaud du moment, mais
la veille en mes méditations, comme étant le plus apte à convaincre un homme
aussi pieux que Louis. Toutefois, en le prononçant, mes lèvres mêmes s’en
étonnèrent car c’était là une pensée de prêtre et non de celles que ma cervelle
volontiers accueille, car je répugne ordinairement à imaginer que le Créateur
s’intéresse de si près aux copulations de ses petites créatures, qu’il en
tienne des registres et en conçoive des ressentiments.
La flèche néanmoins toucha sa cible et Louis parut frappé
par cette raison qui jusque-là ne s’était pas présentée à lui. Et je le vis, à
mon grand soulagement, se calmer peu à peu :
— J’y vais penser, dit-il.
Phrase par laquelle il était accoutumé de clore un débat. Et
bien que ce débat-là fût inachevé, j’opinai que Louis ne tomberait pas dans
l’erreur d’opposer au mariage de Chevreuse une interdiction que l’intéressé
pourrait si facilement violer.
— Laissons la diablesse triompher, dit-il, pour le
moment. Et ne songeons pour lors qu’à bouter hors de nos places cet autre méchant…
CHAPITRE XIV
Cet autre méchant était Benjamin de Soubise, frère du duc de
Rohan, lequel animait, avec le duc de La Force, la rébellion protestante. La
longue bande de littoral atlantique qu’il avait arrachée à la couronne
s’étendait des Sables-d’Olonne à Royan, en passant par l’île d’Oléron. Elle
avait donc l’avantage d’épauler, au nord et au sud, La Rochelle, joyau de la
puissance huguenote, place fortissime, jugée par ses habitants inexpugnable,
parce que l’Anglais la pouvait secourir par terre et parce qu’après six mois
d’un terrible siège, Henri III, alors duc d’Anjou, avait failli à la
prendre.
Louis n’avait aucunement l’ambition de s’en saisir : il
n’en possédait pas encore les moyens. Sa cible lointaine était Montpellier et
sa cible proche, Soubise et son armée, forte de sept mille hommes, alors que
Louis n’en avait que cinq mille, mais combien plus exercés ! Et Louis
possédait, en outre, les trois vertus qu’Henri IV tenait pour suprêmes
chez un chef de guerre : la résolution, la promptitude et la vaillance sur
le terrain.
Son partement de Paris avait assoupi dans le feu de l’action
ses chagrins domestiques. À brides avalées, le visage ferme et serein, il
courait les chemins, plein d’un rêve héroïque et il me semblait par instants
que l’ombre de son père le poussait aux épaules pour qu’il égalât sa gloire.
La rapidité de son avance – il lui fallut moins de six
jours pour aller de Blois à Nantes – étonna le monde : aucune armée,
jamais, n’était allée plus vivement et nul, assurément, n’en fut plus frappé
que
Weitere Kostenlose Bücher