Les Roses De La Vie
affaire de Riez eut ceci d’émerveillable qu’elle fut,
sans qu’on combattît du tout, et sans perte aucune, une victoire de grande
conséquence, car Soubise y perdit une partie de son armée et de son renom et
toutes les places qu’il avait saisies furent reprises par le roi : Royan
en quatre jours, ce qui fut d’un très grand profit, car située comme elle était
à l’embouchure de la Gironde, la ville eût pu à la fois gêner le commerce de
Bordeaux et servir de repaire aux vaisseaux huguenots.
Louis conçut d’autant plus de contentement de ce succès qu’à
Paris son Conseil et ses ministres avaient tâché, unanimement, de le dissuader
de se lancer derechef dans une campagne contre les huguenots. Seul l’avait
soutenu alors avec beaucoup de vigueur le prince de Condé : raison pour
laquelle il fut alors si en faveur auprès du roi que la Cour pensa qu’il allait
succéder à Luynes et devenir le favori de Sa Majesté. Mais, comme je le conte
plus loin, Condé brouillonna tant et si sottement qu’il perdit tout crédit au
bout de quelques mois.
Comme je n’ignorais pas que la cible ultime de l’armée
royale était Montpellier, la ville huguenote la plus forte après La Rochelle et
Montauban, je pensais qu’après la prise de Royan, nous allions passer par
Bordeaux et de là descendre en longeant la Garonne jusqu’à Toulouse pour gagner
ensuite Carcassonne, Narbonne, Béziers, Pézenas et Mauguio, où l’on ne serait
pas loin, en effet, de Montpellier. Et c’est bien ce que nous fîmes en gros,
mais avec deux crochets notables, l’un à l’est de Bordeaux qui nous mena
jusqu’à Sainte-Foix-la-Grande dont nous fîmes le siège. Et le second à l’est de
Montauban pour prendre Nègrepelisse et Saint-Antonin. On voit par là que deux
villes de grande conséquence, Bordeaux et Montauban, demeurèrent à l’écart de
notre route. La première, parce qu’elle nous était fidèle, la seconde parce
qu’elle nous était hostile et que le roi n’avait pas assez de moyens pour
essayer de la réduire en l’assiégeant derechef.
Le duc de La Force, qui occupait Sainte-Foix-la-Grande à
l’est de Bordeaux, était, avec le duc de Rohan qui tenait Montpellier, le chef
le plus important de la rébellion huguenote. Mais chez lui, le grand seigneur,
soucieux de ses intérêts particuliers, l’emportait de beaucoup sur le
protestant. Dès que Louis eut fait occuper son château, ce qui chagrina fort le
duc, et l’armée royale apparaissant ensuite sous les murs de Sainte-Foix, La
Force troqua la ville et toute la Basse-Guyenne contre deux cent mille écus et
le titre de Maréchal de France. Son château, au surplus, lui fut rendu
gracieusement.
Si le lecteur me permet de faire un saut – un saut de
géant, à vrai dire – des environs de Bordeaux à ceux de Montauban où le
roi fit ce deuxième crochet à l’est dont j’ai parlé plus haut, j’aimerais
éclaircir les circonstances de ce massacre de Nègrepelisse qui fut un des
spectacles les plus odieux qu’il me fut donné de voir en cette guerre.
Il n’y eut pas à la vérité un, mais deux massacres à
Nègrepelisse, le second étant la conséquence du premier. Celui-ci fut le fait
des habitants eux-mêmes. Huguenots fort acharnés, ils surprirent en janvier, au
milieu de la nuit, la garnison que le roi leur avait donnée lors de la
précédente campagne et fort impiteusement passèrent au fil de l’épée les quatre
cents hommes qui la composaient.
Ce crime indigna fort le roi qui se jura de le venger,
d’autant que Nègrepelisse n’était qu’à quelques lieues de Montauban et qu’il
entendait montrer à la grande ville rebelle qu’on ne lui tuait pas en pleine
paix de bons soldats sans que ce forfait fût puni. Ce qui ne voulait point dire
en son esprit qu’à la mise à mort de la garnison devait répondre
l’extermination du bourg. Par malheur, Louis était fort malade quand la ville
fut prise, blême, fiévreux, secoué par une toux sèche et extrêmement las. Le
commandement de l’armée royale fut alors assumé par Condé, premier prince du
sang, lequel, quand nos troupes prirent Nègrepelisse, ordonna « de tout
tuer ». Cette extermination eut lieu sur les sept heures de l’après-dînée
par une belle soirée de juin. De sa chambre, Louis ouït en pâlissant les cris
de ceux et de celles qu’on égorgeait. Le « tout tuer » du prince de
Condé n’était pas seulement odieux, il était aussi
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