Les Roses De La Vie
hypocrite, car il incluait
dans le « tout », sans expressément les nommer, les femmes et les
enfants. Louis se traîna jusqu’à sa fenêtre qui donnait des vues sur la petite
ville, mais il n’en vit rien que les murs. Quand les hurlements d’angoisse se
turent, nos soldats, maculés de sang et titubant de fatigue, sortirent par
petits groupes de Nègrepelisse, et peu après de grandes flammes s’élevèrent à
l’intérieur des murs, accompagnées d’épaisses fumées noires qui apportaient
jusqu’à nous une écœurante odeur de chair brûlée. Louis se traîna jusqu’à son
lit et se recoucha, la face blême, sans mot piper.
À mon sentiment, la disgrâce de Monsieur le Prince commença
à ce moment-là. En omettant de consulter le roi et en donnant l’ordre de
« tout tuer », Condé n’avait pas respecté la prérogative royale qui
consiste à faire grâce, ou à ne pas faire grâce, obligeant Louis d’endosser,
après coup, une boucherie qui n’était ni dans son naturel (on l’avait bien vu à
l’île de Riez), ni dans sa politique. Louis entendait bien réduire les rebelles
à l’obéissance, mais il ne voulait à aucun prix réveiller le souvenir de la
Saint-Barthélemy.
Je ne donnerai qu’un exemple de cette disposition du roi.
Près de Mirambeau, ayant surpris deux gardes françaises en train de mettre au pillage
la chaumine d’un paysan huguenot, il les fit arrêter et battre comme plâtre,
puis s’en allant trouver leur colonel, il lui dit avec la dernière
sécheresse : « Si d’ores en avant, vous n’y mettez bon ordre, je vous
casserai, comme faisant vous-même tous les larcins et voleries. »
Après Nègrepelisse, on alla assiéger une petite place
voisine qui portait le joli nom de Saint-Antonin-Noble-Val. Ce siège, qui dût
être bref, dura près d’un mois, parce que de prime les habitants se défendirent
avec vaillance, les femmes comprises, lesquelles, alors qu’un assaut allait
l’emporter, saisirent des hallebardes et repoussèrent vigoureusement les
nôtres, mais surtout par le fait que le prince de Condé, estimant que son sang
lui donnait un génie supérieur à l’expérience des hommes de guerre, avait
décidé, sans consulter personne, d’attaquer la petite place par le côté le plus
fort au lieu de l’attaquer par le côté le plus faible…
Cette sottise qui se révéla si coûteuse en hommes et en
temps n’échappa point à Louis. Il y eut pis. Le déplaisir qu’il éprouva à
constater que la cruauté de Condé n’avait d’égale que son insuffisance
s’aggrava encore quand il vit d’une fenêtre, le trois juillet, à Toulouse,
Monsieur le Prince participer, sans lui avoir touché mot de prime, à la
procession des Pénitents Bleus. La présence du premier prince du sang parmi ces
religieux qui parcouraient les rues pour exciter les passions du populaire de
Guyenne contre les huguenots, donnait à la campagne royale un caractère de
croisade que Louis, depuis son partement de Paris, avait tout fait pour éviter.
L’intempérie persistante du roi me donnait un fort
tracassement et point seulement à moi, mais à toute l’armée car, agissant en
dents de scie, avec des mieux et des empirements, elle paraissait interminable,
pour ne pas dire inguérissable. La toux du roi le secouait du matin au soir et
pour la soigner, Héroard lui administrait des clystères. « Il se trompe de
bout », disait La Barge avec bon sens. Propos que mon père répéta plus
tard en termes plus savants.
Une épidémie d’une sorte que je ne connaissais pas –
inévitable, quand tant d’hommes se déplacent ensemble – décimait l’armée.
Tant est que pour nous refaire, on décida de demeurer trois semaines à Béziers.
Nous avions, au-dessus de nous, un ciel d’un bleu implacable
où brillait un soleil brûlant et sous nos pieds un sol desséché. L’eau était
rare, parce qu’il n’avait pas plu depuis des mois, ce qui aggravait nos
incommodités. Et surtout, bourdonnaient sans cesse autour de nous une
incrédible quantité de mouches le jour et de muscaillous la nuit.
On parle d’oc à Béziers. Un oc un peu différent du
périgordin de mon père, mais que j’entendais passablement bien, ce qui me valut
un bon logement et les bons soins de la dame de céans, veuve accorte qui me
voulait du bien et qui me gâtait fort. Le lendemain de mon installation, un
soldat vint me porter un mot de Bassompierre : si je l’agréais, il me
viendrait
Weitere Kostenlose Bücher