Les Roses De La Vie
entretien
avec Don Fernando de Giron, et comme nous ne savons rien de son français, et
Monsieur de Bonneuil, de son côté, sachant assez peu d’espagnol, se peut qu’il
soit fort soulagé de vous avoir à ses côtés, d’autant que l’audience menace
d’être fort épineuse, vu la question qu’on y doit débattre.
J’ai déjà expliqué que dans la machinerie du secrétariat des
Affaires étrangères, Monsieur de Bonneuil était au Louvre un rouage de grande conséquence.
Il recevait les demandes d’audience des ambassadeurs étrangers et les
transmettait au roi et si le roi ne voulait, ou ne pouvait, accéder à ses
demandes. Monsieur de Bonneuil écoutait lui-même les communications des
diplomates ou leur transmettait les décisions prises par Louis et Monsieur de
Puisieux. Fonction délicate qui demandait discernement, douceur, prudence,
patience et tact. Toutes vertus qui ne faillaient pas à Monsieur de Bonneuil
chez qui tout était rond : la face, la voix, les gestes et la bedondaine.
Vous eussiez dit un galet tant poli par l’usage de la Cour qu’il ne restait
plus sur sa surface la plus petite rugosité.
C’est tout juste si me voyant paraître, Monsieur de Bonneuil
ne me sauta pas au cou.
— Ah Comte ! me dit-il, c’est le ciel qui vous
envoie céans pour me désembourber ! Car mon espagnol est plus troué que
passoire et si Don Fernando de Giron parle aussi mal le français que moi sa
langue, nous courons à l’échec tant l’affaire est délicate.
— Mais, pardonnez-moi, qui est ce gentilhomme ?
dis-je en haussant le sourcil.
— Comment ? dit Monsieur de Bonneuil avec un
courtois étonnement, vous ne le savez point ?
— Je ne suis arrivé que d’hier de ma maison d’Orbieu.
— C’est le nouvel ambassadeur du roi très catholique.
— Eh quoi ? dis-je béant. Le duc de Monteleone est
parti ?
— Pas de lui-même. Louis, poursuivit Monsieur de
Bonneuil avec un discret sourire, ne lui a jamais pardonné les suggestions
qu’il lui avait faites pour remédier au « délaissement » de la reine.
Il a exigé de Madrid son rappel. Et d’autant plus fermement que Monteleone
soulevait mille difficultés pour le renvoi des dames espagnoles. Enfin, grâce
au ciel, ce problème-là est résolu.
— Vramy ? Sont-elles déjà sur le chemin ?
— Nenni, leur partement se fera demain.
— J’imagine qu’elles sont désolées ?
— Pas du tout. Elles sont ivres de joie à l’idée de
revoir leur chaleureux pays. Et d’autant plus que sur l’ordre de Louis on les
a, à titre d’adieu, comblées, je dirais même gavées, de cadeaux et de pécunes.
Mais revenons à Don Fernando de Giron. Il a déjà présenté ses lettres à Sa
Majesté et c’est moi qui l’ai ce jour d’hui convoqué pour lui mander une
décision du roi qui risque de le rebéquer fort. Ah mon ami ! Prions le
ciel que Don Fernando ne soit pas aussi roide que Monteleone ! Car s’il
est aussi escalabreux, nous allons droit à un éclat.
Monsieur de Bonneuil fronça ses lèvres charnues et
vermeilles en prononçant ce mot « éclat », et le lecteur peut bien
imaginer que pour un homme de son humeur douce et diplomatique, un
« éclat » était la pire chose qui pût opposer le roi de France à
l’ambassadeur d’un puissant royaume.
Monsieur de Bonneuil, accompagné d’un petit page fort joli
qui ne le quittait guère, reçut Don Fernando dans le cabinet aux livres, lieu
que je connaissais bien et le lecteur aussi pour la raison que j’y avais caché
sous la régence, dans le chapitre treizième des Essais de Montaigne, des
notes secrètes destinées à Louis. Après les révérences et les bonnetades,
lesquelles, étant muettes, faisaient penser à un ballet bien réglé, les deux
protagonistes s’assirent l’un en face de l’autre dans des chaires à bras qu’on
avait pris soin de choisir identiques, d’autant par la taille que par
l’ornement, afin de ménager les susceptibilités des deux pays. Quant à moi, je
m’assis sur une escabelle à droite du diplomate français car si mon rang dans
l’ordre de la noblesse primait le sien, Monsieur de Bonneuil l’emportait à cet
instant sur moi par sa fonction.
Une fois assis, chacun des deux ambassadeurs, donnant enfin
libre cours à leur langue, échangèrent des civilités qui me parurent d’une
longueur infinie, mais qu’il eût été, je gage, fort disconvenable d’abréger.
Après quoi, Monsieur de Bonneuil me
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