Les Roses De La Vie
riche laboureur de mon domaine le convoitait et aussi parce que
je ne voulais pas que les clabauderies de village expliquassent mes arrêts de
bannissement comme une façon de m’accroître aux dépens des bannis. Toutefois,
je n’eus pas scrupule à toucher le lod, qui était coutumier quand un de mes
manants vendait tout, ou partie, de son bien.
Avant mon retour en Paris, j’allais visiter avec Figulus la
veuve du Guillaumin, tué, le malheureux, parce qu’il péchait une carpe. Elle
était fort maigre et vivait, ou plutôt survivait, sur un très petit lopin avec
une chèvre, trois poules et des châtaignes. Elle avait eu deux enfants morts en
bas âge et demeurait seule, très peu secourue par ses voisins, eux-mêmes fort
pauvres, la pauvreté, quand elle tombe si bas, ne vous attendrissant pas le
cœur. Elle filait de la filasse de chanvre du matin au soir pour gagner
quelques sols par an. Je lui offris de venir filer le mien, et le sien, si elle
le désirait, au château, où elle gagnerait davantage et mangerait à sa
suffisance. Mais à ma grande surprise elle refusa de prime, parce qu’elle ne
voulait point se séparer de sa chèvre et pour la décider, je dus lui promettre
d’emmener sa chèvre avec elle et de la confier à mes bergers. Elle accepta
alors, mais à condition qu’elle pût voir sa chèvre et lui parler au moins une
fois le jour, « sans cela, dit-elle en sa parladure, elle crèvera, et moi
aussi ». Cet entretien eut lieu sur le seuil de sa chaumine, en laquelle
je noulus entrer, tant elle puait. J’entendis à peu près tout ce que me dit la
veuve, mais il me manqua, pour lui répondre, quelques mots que Figulus me
souffla.
Je décidai aussi de payer au curé Séraphin l’ensépulture de
Guillaumin : décision qui fut fort désapprouvée par Saint-Clair, lequel,
comme à son accoutumée, m’en parla à la franche marguerite.
— Monsieur le Comte, dit-il, vous encouragez un abus.
C’est un abus, et non des moindres, de faire payer à des chrétiens l’ouverture
de la terre chrétienne, surtout si l’on pense que la résurrection ne saurait se
faire ailleurs.
— Mon grand-père huguenot, le baron de Mespech,
n’opinait pas autrement, dis-je en riant. Mais comme nous ne voulons pas céans
de guerre de religion, ni de lutte entre le temporel et le spirituel, nous
allons cligner doucement les yeux sur cet abus-là…
La veille de mon département, Saint-Clair me voulut rendre
des comptes et il le fit avec une minutie des plus louables. Cette première
année de récolte avait été faste. Foins, moisson et vendange (à laquelle les
Suisses avaient aidé), tout s’était passé au mieux en dépit de l’adage
périgordin qui dit qu ’année de foin est une année de rien. Et les
ventes, sauf celle du vin (qui n’était pas encore fait), non seulement avaient
balancé les débours engagés pour les voies du domaine, mais le vin vendu
laisserait même un profit raisonnable.
— Monsieur le Comte, dit-il, allons-nous vraiment cette
année, après avoir tant dépensé pour les voies, refaire la toiture de
l’église ? Ne peut-on attendre un an ? Ou à tout le moins jusqu’aux
cerises ? dont la vente paiera, se peut, une partie des matériaux.
— Mon ami, dis-je, je vous sais gré de défendre, fût-ce
contre moi-même, mes propres intérêts. Et ce n’est pas, croyez-moi, de gaîté de
cœur, que je me substitue à l’évêché, lequel est si prompt à prélever la dîme
et si défaillant quand il s’agit d’entretenir les lieux du culte. Mais, il le
faut ! l’église d’Orbieu est partie du patrimoine d’Orbieu. Nous devons
donc la préserver.
*
* *
J’avais été si heureux d’atteindre Orbieu que le cœur
m’avait battu à apercevoir de loin les tours de ma demeure. Par une bien
étrange contradiction, bien que je ne fusse point déçu de la quinzaine passée
en mon petit royaume, tout le rebours, je me sentis fort heureux d’en repartir
et de retrouver tant mon père et le chevalier dans notre hôtel du Champ Fleuri
que le roi en son Palais.
Je courus au Louvre dès le lendemain de mon arrivée, mais ne
pouvant voir Louis qui était parti pour la chasse, j’allais trouver son
ministre, Monsieur de Puisieux ; dont j’étais, le lecteur s’en ramentoit
peut-être, le truchement ès langues étrangères.
— Ah Comte ! me dit-il, vous tombez bien ! Courez
voir de grâce Monsieur de Bonneuil. Il doit avoir à dix heures un
Weitere Kostenlose Bücher