Les Roses De La Vie
pourquoi aussi il a rogné le droit de visite de
l’ambassadeur d’Espagne. Excellence, j’en suis chagrin pour vous, qui eussiez
sans doute usé de ce droit avec le plus grand tact. Du moins, pouvez-vous être
bien assuré que cette mesure n’a rien d’offensant pour votre personne, n’étant
pas personnelle. Et pour tout vous dire, j’attends de ces trois mesures la
satisfaction des vœux que France et Espagne forment avec ardeur pour que cesse
le délaissement de la reine et pour que le roi mon maître, guéri de ses
ombrages, soit à même de donner un dauphin à la France et un petit-fils au roi
votre maître. Songez, Excellence, quelle satisfaction serait la vôtre, si
passant outre à votre présent mécontentement, vous aviez la patience de
demeurer en France afin d’être le premier à annoncer à Philippe III
d’Espagne cette glorieuse nouvelle.
Monsieur de Luynes se tut. Il avait partie gagnée. Don
Fernando demeura en Paris. Quant à l’émerveillable habileté qu’une fois de plus
je trouvai en lui, je déplorai que le favori fût non seulement si ignare, mais
si peu enclin à se donner peine pour corriger ses ignorances, ne sachant rien
de l’Histoire des pays étrangers dont on parlait au Conseil, ni qui en étaient
les princes, ni même où ils se trouvaient sur la carte, à tel point qu’il
faisait sourire de lui à chaque fois qu’il essayait d’en dire un mot. À mon
sentiment, c’était pitié, car il ne manquait ni de finesse ni d’adresse, mais
celles-ci, petitement restreintes par nécessité aux intrigues de cour,
auxquelles du reste il excellait. Raison pour laquelle, quand Louis lui donna
la conduite de ses armées, Luynes se montra si piteusement médiocre, péchant
sans cesse par ignorance et, qui pis est, par couardise. Du moins l’Histoire
lui devra-t-elle quelque gratitude pour la part qu’il prit dans le
rapprochement du roi et de la reine, lequel sans ses persévérants efforts, son habileté,
et la grandissime affection que lui portait Louis, n’aurait sans doute jamais
eu lieu.
Je ne voulus manquer pour rien au monde le départ des dames
espagnoles et je suivis Louis quand il gagna la petite galerie pour voir leur
cortège s’engager sur le Pont Neuf. Il n’y avait pas moins de trente carrosses
et d’une dizaine de chariots, ceux-ci contenant leurs bagues, mais aussi les
cadeaux et les gratifications que Louis leur avait donnés en guise
d’« amical adieu ». « Amical » me parut plaisant.
Comme il avait fait pour sa mère quand elle partit en exil à
Blois, Louis regarda s’éloigner les carrosses des dames espagnoles sans
prononcer la moindre parole. Mais justement parce qu’il ne dit rien, on lui
prêta un mot, que je veux rapporter céans, non parce qu’il le prononça, mais
parce qu’à mon sens, il résumait assez bien ce que nous pensions tous à ce
moment-là. À quelqu’un qui se plaignait qu’on eût gavé ces dames de trop de
cadeaux et de pécunes, il aurait répondu : « Nenni, nenni. Ce n’était
pas trop cher payé. »
CHAPITRE VII
Je ne nourrissais pas, quant à moi, une tant mauvaise
opinion des dames espagnoles que le roi. À mon sentiment, elles pâtissaient de
pointillés diverses.
Elles étaient trop nombreuses pour leur bonheur, se trouvant
fort resserrées dans les lieux où on les avait mises. En outre, l’étiquette de
la Cour interdisant aux gentilshommes français de les approcher, elles
souffraient mal ces distances, étant nées sous un ciel chaleureux. Et enfin,
sur la centaine qu’elles étaient, une douzaine à peine avaient l’occasion de se
rendre utiles. Tant est que se trouvant du matin au soir désoccupées, d’aucunes
s’étaient jetées dans les malices et les chatonies que l’on sait.
Le quatre décembre 1618 – jour de leur
partement –, il pleuvait à cieux déclos, avec accompagnement d’aigres
bises et d’une excessive froidure. Tant est que Louis, au lieu de courre à la
chasse, fut contraint de demeurer dans le cabinet qui donnait sur la petite
galerie où, ne pouvant rester oisif plus d’une demi-minute, il s’occupa à
fabriquer de petites fusées – ce à quoi il excellait comme à toute tâche
manuelle.
Le lecteur se ramentoit sans doute que du temps de la
régente, la mode voulait qu’on méprisât ces occupations que la reine-mère (qui
elle-même n’avait pas assez de cervelle pour cuire un œuf) tenait pour basses
et puériles. Je n’avais jamais partagé ce
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