Les Seigneurs du Nord
huit cavaliers noirs
arrivèrent.
Nous avions trois
cent cinquante-quatre hommes en âge de combattre, dont moins de vingt
possédaient une cotte de mailles et une centaine une cuirasse décente. Ceux-là
avaient des casques et des armes dignes de ce nom, épées ou lances, alors que
les autres n’avaient que haches, herminettes, faux et houes. Eadred appelait
pompeusement cela l’armée du Saint Homme… Si j’avais été le saint homme, j’aurais
déguerpi au ciel et attendu meilleure proposition.
Un tiers de l’armée était dane, le reste saxon
avec quelques Bretons armés d’arcs redoutables. Je les appelai donc la garde du
Saint Homme et leur dis qu’ils devaient rester avec le cadavre du saint – qui
allait bien entendu accompagner notre marche conquérante. Encore que nous n’allions
pas partir sur-le-champ, car nous devions d’abord amasser vivres et fourrage
pour nos quatre-vingt-sept chevaux.
C’est pourquoi l’arrivée des cavaliers noirs
fut la bienvenue. Ils étaient huit, sur des chevaux noirs ou bruns, accompagnés
de quatre montures de rechange. Quatre portaient cotte et quatre cuirasse, et
tous avaient des capes et boucliers noirs. Ils venaient de l’Est, en longeant
le mur romain qui menait à la rivière qu’ils avaient passée à gué, car l’ancien
pont avait été détruit par les Norses.
Ils ne furent pas les seuls à nous rejoindre. D’autres
arrivaient les uns après les autres. Beaucoup étaient des moines, mais certains,
des guerriers des collines armés d’une hache ou d’une massue. Quelques-uns
avaient armure ou cheval, mais seuls les huit cavaliers noirs étaient armés de
pied en cap. C’étaient des Danes, qui annoncèrent à Guthred qu’ils
appartenaient à Hergist, lequel possédait terre en un lieu appelé Heagostealdes.
Hergist était vieux, déclarèrent-ils ; il ne pouvait venir en personne, mais
avait envoyé ses meilleurs hommes. Leur chef se nommait Tekil et semblait un
preux, à en juger par ses quatre bracelets, sa longue épée et son allure
assurée. Il paraissait trente ans, comme la plupart de ses hommes, sauf un, fort
jeune, qui ne portait pas de bracelets.
— Pourquoi Hergist envoie-t-il des hommes
d’Heagostealdes ? demanda Guthred à Tekil.
— Nous sommes près de Dunholm, seigneur. Et
Hergist souhaite que tu détruises ce nid de guêpes.
— Alors sois le bienvenu, dit Guthred en
permettant aux huit hommes de s’agenouiller pour lui prêter allégeance. Tu
amèneras les hommes de Tekil à mes troupes rapprochées, m’ordonna-t-il un peu
plus tard.
Nous étions dans un champ au sud de Cair
Ligualid, où j’entraînais ses troupes. J’avais choisi trente jeunes hommes, plus
ou moins au hasard, m’assurant d’avoir moitié Danes et moitié Saxons, et j’insistai
pour qu’ils composent un mur alternant un Dane et un Saxon. Je leur apprenais à
se battre et priais mes dieux qu’ils n’aient jamais à le faire, car ils n’y
connaissaient rien. Les Danes étaient meilleurs, car ils sont élevés à l’épée
et au bouclier, mais aucun ne connaissait la discipline du mur.
— Vos boucliers doivent se toucher !
criai-je, sans quoi vous êtes morts. Vous voulez mourir ? Que vos tripes
se répandent à vos pieds ? Rapprochez les boucliers. Pas ainsi, bout de
cul ! Le côté droit de ton bouclier chevauche le côté gauche de celui de
ton voisin. Compris ? Je ne veux pas des hommes de Tekil dans la garde, dis-je
à Guthred.
— Pourquoi cela ?
— Parce que je ne les connais point.
— Tu ne connais point ceux-là non plus.
— Je les sais idiots et je sais que leurs
mères auraient dû serrer les cuisses. Que fais-tu, Clapa ? criai-je à un
jeune Dane dont j’avais oublié le nom, mais que tous appelaient ainsi, ce qui
signifie « maladroit ». (C’était un énorme paysan, fort comme deux
hommes, mais pas des plus intelligent. Il me regarda d’un œil vide approcher de
leur ligne.) Que dois-tu faire, Clapa ?
— Rester auprès du roi, seigneur, dit-il
d’un air perplexe.
— Bien ! (J’étais content, car c’était
la première et la plus importante leçon que je leur avais inculquée. Étant la
garde rapprochée du roi, ils devaient rester toujours auprès de lui, mais ce n’était
pas ce que je lui demandais en cet instant.) Dans le mur de boucliers, idiot, dis-je
en lui martelant le poitrail, qu’es-tu censé faire ?
— Garder mon bouclier levé, seigneur !
dit-il après
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