Les Seigneurs du Nord
d’une
dizaine d’hommes, dont Ulf, Ivarr et son fils ainsi que Jænberht, qui exhortait
Guthred à commencer la reconstruction du monastère.
— Nous devons d’abord terminer l’église
de saint Cuthbert, lui répondit le roi.
— Mais la maison doit être rebâtie, insista
le moine. C’est un lieu sacré. Le très saint et bienheureux Bède y vécut.
— Elle le sera, promit Guthred. (Il
désigna une croix de pierre ornée de sculptures, abattue de son piédestal et à
demi enfouie dans le sol.) Et cette croix s’élèvera de nouveau. Bel endroit, conclut-il
en contemplant la rivière.
— Si fait, opinai-je.
— Si les moines reviennent, le monastère
pourra être de nouveau prospère. Poisson, sel, moissons, bétail. Comment Alfred
lève-t-il ses finances ?
— Les impôts.
— Il impose aussi l’église ?
— Il n’aime guère, mais il le fait quand
les temps sont durs. Après tout, les clercs doivent payer pour être protégés.
— Il frappe sa propre monnaie ?
— Oui, seigneur.
— C’est compliqué d’être un roi, rit
Guthred. Peut-être devrais-je lui rendre visite pour prendre conseil.
— Cela lui plairait.
— Alfred m’accueillerait avec
bienveillance ? s’étonna-t-il.
— Certes.
— Bien que je sois un Dane ?
— Parce que tu es chrétien.
Il réfléchit à cette question, puis poussa
jusqu’au marais, où deux ceorls posaient des nasses à anguilles. Ils s’agenouillèrent
sur son passage. Guthred leur fit un sourire qu’ils ne purent voir, ayant la
tête baissée. Quatre hommes pataugeaient dans l’eau devant le navire à l’ancre.
— Dis-moi, demanda soudain Guthred, Alfred
est-il différent parce qu’il est chrétien ?
— Oui.
— En quelle façon ?
— Il s’efforce d’être bon, seigneur.
— Notre religion, dit-il, oubliant un
instant qu’il avait été baptisé, ne fait pas cela, n’est-ce pas ?
— Quoi donc ?
— Odin et Thor nous veulent braves et
demandent que nous les respections, mais ils ne nous rendent pas bons.
— Non, convins-je.
— Le christianisme est donc différent, insista-t-il.
(Les quatre hommes attendaient à quelques pas de nous.) Donne-moi ton épée, m’ordonna-t-il
soudain.
— Mon épée ?
— Ces marins ne sont point armés, Uhtred,
et je veux que tu ailles leur parler. Donne-moi donc ton épée.
Je ne portais que Souffle-de-Serpent.
— Je n’aime point aller sans épée, seigneur,
protestai-je.
— C’est une courtoisie, Alfred, insista-t-il
en tendant la main.
Je ne bronchai point. Je n’avais jamais
entendu parler d’une courtoisie qui exigeait qu’un seigneur ôte son épée avant
de parler à un homme du commun. Je fixai Guthred, et derrière moi j’entendis le
sifflement de lames qu’on dégaine.
— Donne-moi ton épée et va voir ces
hommes. Je garderai ton cheval.
Je me rappelle avoir regardé autour de moi en
me disant qu’il suffisait que j’éperonne mon cheval pour partir au galop, mais
Guthred s’empara de mes rênes.
— Va les saluer pour moi, répéta-t-il.
J’aurais encore pu m’enfuir en lui arrachant
les rênes, mais Ivarr et son fils me bloquaient la route. Tous deux avaient
tiré leurs épées et Witnere se cabra, irrité. Je le calmai.
— Qu’as-tu fait, seigneur ? demandai-je
à Guthred.
Il se tut un instant, incapable de me regarder.
— Tu m’as dit qu’Alfred ferait tout ce
qui était nécessaire pour préserver son royaume, dit-il enfin. C’est ce que je
fais.
— Et comment ?
Il eut l’élégance de paraître gêné.
— Ælfric de Bebbanburg amène des troupes
pour prendre Dunholm, dit-il. Il vient me prêter allégeance.
— Je t’ai moi-même juré fidélité.
— Et j’ai promis de te libérer de ce
serment. C’est ce que je fais à présent.
— Tu me livres donc à mon oncle ?
— Non. Il exigeait ta vie, mais j’ai
refusé. Tu dois simplement partir, Uhtred. Loin. Et en échange de ton exil, je
gagne un allié et de nombreux guerriers. Tu avais raison. J’ai besoin d’hommes.
Ælfric de Bebbanburg peut me les fournir.
— Et pourquoi un exilé doit-il partir
sans arme ? demandai-je.
— Donne-moi l’épée.
Deux hommes d’Ivarr s’approchaient à leur tour,
épée au poing.
— Pourquoi dois-je aller sans épée ?
Guthred contempla le navire, puis il se
retourna vers moi, se forçant à répondre :
— Tu iras sans arme, parce que ce que j’étais,
tu dois l’être.
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