Les Seigneurs du Nord
pensions pas rencontrer d’ennemis. Guthred
ouvrait la marche, suivi d’Ivarr et de son fils, et d’Ulf, ainsi que des moines
Jænberht et Ida, venus dire des prières pour les moines massacrés naguère à
Gyruum. Je ne leur dis point que j’avais assisté à ce carnage perpétré par
Ragnar l’Ancien. Il avait eu ses raisons. Les moines avaient occis des Danes et
il les en avait punis, même si aujourd’hui on raconte toujours que les moines
priaient innocemment et étaient morts en martyrs immaculés. En vérité, ils
avaient cruellement assassiné des femmes et des enfants. Mais que peut la
vérité contre les racontars de prêtres ?
Guthred était de bonne humeur. Il ne cessait
de parler, de rire de ses bons mots. Il essaya même de tirer un sourire à Ivarr.
Celui-ci parlait peu, hormis pour conseiller son fils en matière de fauconnerie.
Guthred m’avait donné son faucon, mais comme nous traversâmes d’abord une forêt
où il ne pouvait voler, son épervier eut l’avantage et nous abattit deux freux.
Guthred s’extasia. C’est seulement quand nous arrivâmes en plaine près de la
rivière que mon faucon put s’élever et fondre sur un canard, mais il le manqua.
— Ce n’est point ton jour de chance, me
dit Guthred.
— Nous pourrions bien tous n’en avoir
aucune, dis-je en désignant les nuages qui s’accumulaient. Un orage guette.
— Ce soir, peut-être, répondit-il, désinvolte.
Mais pas avant la nuit.
Il avait confié son épervier à un serviteur et
je laissai le faucon à un autre. La rivière était sur notre gauche et les
bâtiments de pierre calcinées du monastère de Gyruum se dressaient devant nous
au bord de la rivière, sur une éminence dominant les marais. C’était la marée
basse et des nasses en osier émergeaient de l’eau.
— Gisela a la fièvre, me dit Guthred.
— C’est ce que l’on m’a dit.
— Eadred a promis de la toucher avec le
linge qui couvre le visage de Cuthbert. Il dit qu’il la guérira.
— Je l’espère, répondis-je docilement.
Devant nous, Ivarr et son fils chevauchaient
avec une douzaine de ses hommes. S’il lui en prenait, ils pourraient nous tuer
tous les deux. Je vérifiai qu’Ulf et ses hommes nous suivaient.
— Ce n’est pas notre ennemi, s’amusa
Guthred en surprenant mon regard.
— Un jour, il te faudra le tuer. C’est
seulement ce jour que tu seras à l’abri, seigneur.
— Je ne le suis point en ce moment ?
— Tu as une petite armée mal entraînée, et
Ivarr va de nouveau lever des hommes. Il engagera des guerriers danes et n’aura
de cesse de redevenir le seigneur de Northumbrie. Il est faible maintenant, mais
il ne le sera pas toujours. C’est pourquoi il veut Dunholm, car cela le
renforcera.
— Je sais tout cela, dit patiemment
Guthred.
— Et si tu maries Gisela au fils d’Ivarr,
combien d’hommes cela t’apportera-t-il ?
— Combien pourrais-tu m’en apporter ?
demanda-t-il avec un regard aigu.
Sans attendre ma réponse, il éperonna son
cheval et galopa vers le monastère en ruine que les hommes de Kjartan
occupaient naguère. Ils l’avaient recouvert d’un toit de chaume, avaient ménagé
un âtre et une dizaine d’estrades pour dormir. Ceux qui habitaient là avaient
dû gagner Dunholm avant que nous ne traversions la rivière vers le château, car
les lieux n’étaient plus occupés depuis longtemps. L’âtre était froid. Au-delà
de la colline, dans la large vallée entre le monastère et l’ancien fort romain
sur la pointe se trouvaient les cabanes des esclaves. Elles étaient vides. Quelques
hommes habitaient l’ancien fort où ils devaient allumer un fanal au cas où des
envahisseurs remonteraient la rivière. Sans doute n’avait-il jamais été allumé,
car aucun Dane n’aurait envahi les terres de Kjartan ; mais un petit
bateau était ancré au pied de la colline, dans un repli de la Tine.
— Nous allons voir ce qu’il fait là, dit
Guthred, comme s’il était agacé de la présence du navire. (Il ordonna à sa
garde d’abattre les enclos et de les incendier.) Brûlez tout ! Irons-nous
voir quel est ce navire ? me demanda-t-il avec un sourire.
— C’est un marchand.
C’était un navire dane, car aucun autre
vaisseau ne fréquentait ces côtes, mais plus court et plus large qu’un navire
de guerre.
— Alors allons lui dire qu’il n’y a plus
de commerce à faire ici, du moins pas d’esclaves.
Nous nous mîmes en route, accompagnés
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