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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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chardonnerets, des bengalis et des serins frileusement blottis les uns contre les autres.
    — À la semaine prochaine, mère Grondin.
    — Bonsoir, ma Chantal, rentrez vite au chaud.
    La jeune femme s’attela à sa charrette, donna un coup de reins et, filée à distance par un quidam encapuchonné, se mit en route vers le boulevard de Sébastopol.
    1 - Imprimé à Bruxelles en 1863 par A. Lacroix, Verboeckhoven & C ie Éditeurs.

    2 - Dieu de la maison, en russe.

Chapitre XII
    Lundi 17 janvier
     
    Il avait fallu une bonne dose de courage à Germinie Laize pour franchir le seuil de l’Œuvre de l’assistance matrimoniale, récemment fondée au 26, boulevard Poissonnière. Cette institutrice de pensionnat avait depuis belle lurette coiffé sainte Catherine et désespérait de rencontrer le compagnon qui l’aiderait à traverser les flots houleux de la vie. Elle se jugeait sans complaisance : plutôt laide, déjà vieille, mais dotée d’un esprit ouvert aux sciences autant qu’aux arts, bien qu’elle enseignât le point de croix et les rudiments du solfège à des adolescentes renfrognées. La dame qui la reçut, une aimable quinquagénaire, la félicita de son choix.
    — Vous ne vous repentirez pas d’avoir eu recours à moi. Voici ce que je vous propose : nous allons rédiger ensemble une annonce qui sera diffusée dans les journaux. Nous étudierons les réponses expédiées à mon bureau et, si l’une d’elles a l’heur de vous plaire, j’organiserai un rendez-vous au cours duquel vous découvrirez votre correspondant.
    — Supposez qu’il me soit antipathique ou que sa conduite soit inconvenante ?
    — C’est simple, vous le renverrez au néant. Ne possédant pas votre adresse privée, nulle crainte qu’il ne vous harcèle de ses assiduités. Mon officine a pour but de faciliter le mariage de célibataires dépourvus de relations personnelles. En cas d’échec, refuser de se déclarer vaincues et persévérer, tel est le devoir moral qui nous incombe.
    Germinie Laize était demeurée pensive, à l’écoute de son cœur emballé et de son souffle court.
    — Tout cela va coûter cher.
    — Oh, si peu ! Cinquante francs pour mes services. Dans l’éventualité que des épousailles récompensent mes efforts, je vous réclamerai une prime de quatre cents francs, payable en trois échéances. Cette somme constituera le cadeau de noces de votre époux.
    — Il sera peut-être démuni.
    — Ma chère, à votre âge et dans votre condition, vous marier avec un individu désargenté serait d’une profonde imprudence.
    Dès le lendemain paraissait dans les principaux quotidiens ce texte :
    « Femme jeune, douce et cultivée, aux revenus modestes mais réguliers, souhaiterait faire la connaissance de monsieur instruit, de caractère pondéré, de préférence employé ou fonctionnaire, désireux d’embrasser la carrière matrimoniale. Écrire à Mme de Liptay, 26, boulevard Poissonnière. »
    Deux jours après la publication, les lettres commencèrent d’affluer. Leur dépouillement par les deux femmes déclencha force fous rires. À les en croire, ces gentlemen étaient tous de richissimes apollons nantis d’un cerveau encyclopédique et d’espérances mirobolantes quant à leur avancement. L’unique prétendant un tantinet réservé était chef du rayon des bagages au magasin La Samaritaine, rues du Pont-Neuf et de Rivoli. Il s’avouait « entre deux âges » et « d’allure banale », celant sous une apparence tranquille un tempérament romanesque et un goût immodéré des recherches historiques.
    En ce lundi matin qu’un ciel clément avait eu la bonté de rendre presque printanier, Germinie Laize quitta le fiacre qui l’avait emmenée à l’orée du bois de Boulogne. Elle parcourut l’allée des Dames et s’assit dans un café d’où elle observa le lac inférieur et la grande cascade. Elle manipulait nerveusement Le Passe-partout et L’Éclair , tous deux titrant :
    L A MISSION MARCHAND, DE COURBEVOIE À BANGUI .
    Elle attendait que se présentât un certain Constant Venette. Ce qui se produisit rapidement. Aussi intimidé qu’elle, un quidam de taille moyenne, au visage empâté et au costume anthracite, coiffé d’un melon gris, se courba de façon quasi militaire. Malgré son physique revêche, ses yeux pétillants et son franc sourire séduisirent Germinie Laize, dont les traits dénués d’affectation et la toilette mauve à rayures blanches

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