Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
Voltaire.
    Gaétan Larue encaissa cette épreuve en chantonnant intérieurement la dernière scie à la mode.
    Je raffole de tous les animaux
    Le singe, la grenouille, le chat  et le vieux chameau…
    Je raffole aussi
    De mon ouistiti !
    Hélas, en dépit de son stoïcisme, sa pêche demeura infructueuse.
     
    Ferdinand Pitel se glissa furtivement hors de chez lui, peu désireux de se heurter à sa tante. Il s’empressa de gagner la cordonnerie où il se réservait le premier des petits plaisirs dont serait balisée la matinée : deux croissants achetés la veille et posés près d’un réchaud sur lequel dormait une casserole emplie de café. Il dégusta son déjeuner avec le sentiment de jouir d’une détente bien méritée après une semaine de travail et d’émotions. Il se sentait riche, seul, libre de son temps, tel un navigateur échoué sur une île presque déserte. Qu’extorquer de plus à l’existence ? Foin des importuns, il avait su s’en débarrasser et projetait de poursuivre son chemin sans que quiconque se dressât en travers de sa volonté.
    Abandonner le bol à demi plein et les miettes sur un coin d’établi le mit en joie, il nettoierait plus tard. Il ajusta son nœud papillon et se repeigna face à un miroir mural avant de boucler la boutique. Il se proposait dès lors de se rendre quai Saint-Michel et de baguenauder jusqu’à ce qu’il dénichât un colifichet susceptible de plaire à Chantal Darson. Puis il irait lui faire sa cour dans le marché aux Oiseaux.
    Il n’avait pas prévu qu’une main pèserait sur son épaule, et qu’une voix masculine s’exclamerait :
    — Monsieur Pitel !
    La main et la voix appartenaient à Victor, qui, mussé devant la morgue, précédait Ferdinand depuis qu’il avait cadenassé sa porte.
    L’expression chagrine du savetier démentit le bonheur qu’il y avait à être appréhendé par un quidam réputé pour son ingéniosité à résoudre les plus subtiles énigmes. Mais, nonobstant sa résistance, le libraire parvint à l’entraîner dans le square encerclant le chevet de la cathédrale, près de la fontaine Notre-Dame. Si encore il avait neigé, s’il était tombé quelques gouttes de pluie, ils n’auraient pu s’asseoir sur un banc autour duquel s’amassa aussitôt une cohorte de pigeons.
    — Alors, racontez, il paraît que vous aussi, vous avez eu maille à partir avec le commissaire Valmy ?
    — Il m’a interrogé, la routine, m’a-t-il certifié, je n’ai rien à craindre, je suis en dehors de ces affaires, je ne connais aucune des victimes intimement.
    — Même pas Georges Moizan ? Fulbert Bottier m’a assuré que vous lui achetiez des documents anciens pour vous en inspirer dans la fabrication de vos souliers. J’ai lu dans un bouquin du Bibliophile Jacob que les gens de votre corporation inondent le quartier des chaussures de dames avec de la peau de mouton ou de veau empruntée aux volumes anciens. Il semble que ce soit un ingrédient plus souple qu’une doublure de cuir, mal supportée par des pieds féminins.
    — Cela se produisait jadis, chez des confrères, mais je ne me suis jamais livré à de telles pratiques. Je suis partisan de la belle ouvrage. Si j’ai traqué de vieux papiers sur les quais, pas seulement chez M. Moizan d’ailleurs, c’est que je m’intéresse aux planches de l’ Encyclopédie concernant mon métier, voilà tout. Fulbert Bottier est une langue de vipère.
    Victor se baissa et ramassa une branche morte qu’il se mit à émonder avec un canif.
    Le cordonnier leva les yeux au ciel. Combien d’heures ce satané pot de colle allait-il lui tenir la jambe ?
    — Il n’est pas prouvé que M. Moizan soit le décapité, dit Ferdinand.
    — M’est avis que l’opinion commence à être favorable à cette thèse.
    — Ben, si c’est Moizan, il ne faut pas chercher loin pour savoir qui avait de bonnes raison pour le raccourcir.
    — Affinez votre pensée.
    — Fulbert Bottier et lui se chamaillaient à tout propos. Le jour où on a installé les boîtes de M. Pérot, ils ont eu une altercation.
    — À quel sujet ?
    — Moizan devait lui remettre un objet depuis un certain temps. Je suppose que c’était un livre, parce que Moizan avait l’habitude de lui piquer ses revendeurs en son absence.
    Les pigeons exécutaient un ballet insistant au pas de l’oie. Ferdinand Pitel les dispersa d’un coup de pied. Victor fit mine de s’entailler l’index en maniant son

Weitere Kostenlose Bücher