Les valets du roi
Forbin referma sur Mary la porte de sa cabine. Elle était aussi richement décorée que le cabinet d’Emma de Mortefontaine et ce qu’il versa dans le verre de Mary lui rappela ce vin qu’elle buvait après l’amour en riant trop fort.
— Je t’écoute, Olivier, dit Forbin en poussant devant elle une corbeille emplie de fruits et de biscuits.
Au risque de lui déplaire, Mary en engloutit plusieurs entre deux goulées de vin, avant d’oser le moindre mot, maniérant sa fringale de petits gestes précieux comme le lui avait enseigné lady Read.
Claude de Forbin s’attarda dans le silence, assis négligemment et patiemment dans un fauteuil derrière son bureau. Mary ne se formalisa pas de l’amusement qu’elle décela sur ses traits, se souvenant de cette phrase que répétait sans cesse Cecily : « Tant qu’à mourir, autant que ce soit le ventre plein. » De fait, jamais elle n’aurait pensé avoir un estomac aussi grand !
Lorsque, reconnaissante de la compréhension que manifestait le capitaine, elle se laissa finalement retomber contre le dosseret épais du fauteuil, elle était tout encline aux confidences. Celles du moins qu’il plairait à Forbin d’entendre.
— J’avais faim, je crois, s’excusa-t-elle tout de même, retrouvant sa bonne éducation.
— Je le crois aussi, s’en divertit Forbin. Repu ?
— Oui, capitaine. Merci.
— Ne me remercie pas encore. Attends que j’aie jugé de ton histoire.
Mary hocha la tête et se lança :
— Je fus engagée il y a deux mois par M me de Mortefontaine, au titre de secrétaire particulier. Celle-ci me tient en grande estime, monsieur, et m’a avoué le rôle qu’elle joue pour mieux servir les intérêts de son pays et de son roi Jacques, injustement chassé d’Angleterre par ces maudits protestants.
— Inutile de refaire l’Histoire, la coupa Forbin. Je sais tout cela. Que M me de Mortefontaine soit une espionne ne m’explique pas ta présence sur ce navire marchand, et c’est cela qui m’intéresse.
— J’y viens, capitaine. Madame s’est vu démasquée il y a huit jours, et ne pouvait plus prendre le risque d’envoyer les dernières informations qu’elle avait récupérées. Elle me chargea donc de les transmettre directement. Hélas, je fus moi-même agressé comme je m’en venais au port pour prendre mon embarquement. J’ai pu échapper à mon poursuivant en sautant dans le premier navire en partance, comme un voleur, que je ne suis pas, ajouta Mary.
— As-tu des preuves de cela ?
Mary fouilla dans la poche intérieure de son gilet pour en retirer la lettre qu’elle y avait fourrée avant sa désagréable rencontre avec Tobias Read. À son grand désarroi, elle eut beau palper, elle ne trouva rien. Machinalement sa main se porta à son cou. Ses chaînes avaient, elles aussi, disparu.
Forbin ouvrit un tiroir de son bureau et en sortit l’œil de jade, le pendentif d’émeraude et la missive décachetée qu’il avança vers elle sur le plateau marqueté.
— Est-ce ceci que tu cherches ? demanda-t-il.
Mary hocha la tête.
— Sais-tu ce que je crois, Olivier ?
Elle ne répondit pas, malgré l’idée qu’elle en avait et qui la terrifia soudain. Forbin se leva, contourna le bureau et s’y assit, négligemment, la toisant ainsi de son imposante stature.
— Je crois que tu mens.
Prestement, il dégaina son épée accrochée par son fourreau à sa ceinture, et la pointa sous le menton relevé de Mary. Leurs regards s’accrochèrent. Celui de Mary le défia.
Cette scène lui en rappelait une autre qui n’avait eu qu’une très agréable issue. Elle s’en grisa d’autant plus que Forbin la troublait bien davantage que sa maîtresse anglaise.
— Délace ta chemise.
Peu surprise, Mary obéit. Quel que soit celui qui avait palpé sa poitrine pour lui voler les bijoux, rapport avait été fait au capitaine. Forbin fit glisser son arme le long de sa trachée, et s’attarda sur les rondeurs étouffées par les bandages.
— Ce doit être inconfortable, je suppose ?
— Moins que la pointe de votre lame, capitaine, crâna-t-elle, l’air moqueur et désinvolte.
Forbin l’ôta en souriant. Ils se dévisagèrent un moment en silence, se jaugeant mutuellement, emplissant l’espace d’une tension grandissante, d’un désir soudain à fleur de peau.
On toqua à la porte. Claude de Forbin ne réagit pas, incapable tout autant que sa captive de rompre cet envoûtement
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