Les valets du roi
plaçant les trois aînés pour améliorer l’ordinaire de la famille. Elle possédait ce courage et ce désir de vivre qui avaient manqué à Cecily. Corneille était le dernier de la lignée, et n’avait que vingt-deux ans malgré son caractère d’acier trempé.
Mary s’attarda longuement à cette table. Lorsque les chandelles furent consumées, Madeleine se leva, saisit un bougeoir et, réprimant un bâillement, leur souhaita une bonne nuit.
Corneille et Mary partageaient la même chambre. Il n’y en avait que deux dans la maisonnée. Cela n’avait pas coûté à Corneille lors de leur précédente escale, ni sur La Perle où, dans la batterie, aucune intimité n’était possible.
Mais les choses avaient changé.
Mary perçut l’insistance de son regard et détourna la tête. Corneille était bel homme, mais elle ne voulait pas perdre de vue son objectif premier. D’autant qu’elle s’était attachée à Forbin.
— J’y vais, décida Mary.
— Où ?
— Chez lui, répliqua-t-elle comme si c’était une évidence.
— Pas ce soir, rétorqua Corneille en lui faisant face, l’œil brûlant.
— Et pourquoi pas ce soir ?
— Parce qu’il n’y tient pas, mentit-il, à moitié seulement.
Il était certain que Forbin lui saurait gré de ce répit pour mettre au clair ses idées. Mary sonda son regard, courroucée à la pensée qu’il pût dire vrai. Corneille ajouta, pour la convaincre :
— La situation n’est plus la même, Mary. Ne le brusque pas.
— Il a eu bien assez de temps pour y songer, décida-t-elle en enlevant son manteau de la patère où elle l’avait accroché.
Corneille la retint par le bras et Mary comprit que, si elle restait, ce serait dans les siens qu’elle se perdrait.
— Tu fais une erreur, Mary, tenta-t-il.
— Je l’assumerai.
Corneille relâcha la pression et la laissa aller. Mary Read n’était plus la captive fragile qu’il avait ramenée à Brest deux mois plus tôt. Elle n’avait plus besoin de personne pour la protéger.
Lanterne en main, et épée à la garde, enveloppée dans sa mante qui lui battait les mollets gainés par le cuir des bottes, Mary arriva sans encombre devant l’échoppe de Forbin. Elle toqua à la porte, la trouvant fermée. Les volets étaient barrés, mais on devinait de la lumière dans la chambre de Forbin au travers des lamelles de bois. Mary s’accroupit, gratta le sol pour y ramasser quelques cailloux et entreprit de les lancer contre la croisée. Il fallut plusieurs essais pour que les volets s’écartassent et que Mary vît apparaître Forbin. Elle se recula pour se montrer et demeura bouche bée devant la silhouette féminine qui l’avait rejoint et enlaçait ses épaules.
Mary sentit son ventre se nouer. Elle laissa tomber la lanterne, qui mourut sur le pavé, et se détourna de cette maison en courant.
14
— Q u’était-ce ? susurra la voix enjôleuse de la visiteuse de Forbin.
— Rien, répondit-il, le cœur serré, en refermant le volet. Rien d’autre qu’un gamin qui mériterait une fessée.
Forbin se retourna pour constater que, profitant de cette diversion, Emma de Mortefontaine avait délacé son corset. Il ne fut pas dupe. Dès l’instant où elle s’était annoncée, il avait compris qu’Emma n’était à Brest que pour retrouver Mary. Se demandant quel intérêt elle pouvait véritablement y prendre, l’imaginant, en fait, peu capable d’aimer, il avait décidé de jouer les benêts pour le découvrir, se réjouissant faussement de sa visite après tant d’années.
Emma, il est vrai, était plus belle encore qu’en son souvenir, plus assurée aussi, et Forbin ressentit, comme du temps de leur première rencontre, cette tenace sensation de malaise et de danger. Elle l’excita. Comme chaque combat qu’il devait mener. Il s’avança vers Emma, qui murmura :
— Me jugerez-vous trop effrontée, capitaine ?
— Au contraire, répondit-il, le sang échauffé par son intense beauté. Vous m’offrez une occasion dont j’ai trop souvent rêvé sans pouvoir l’oser.
Il l’enlaça et guetta le sourire qu’elle lui tendit à baiser.
Lorsqu’il fut rassasié d’elle, Emma, lascive, en vint enfin aux confidences.
— Il y a longtemps que je cherchais une raison de vous approcher, Claude, tant notre rencontre à Versailles, il y a deux ans, m’a laissé un souvenir charmant. Peut-être à cause de votre amitié pour Jean.
Forbin eut, un instant,
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