Les valets du roi
Mary abandonna son plaidoyer.
Elle avait été placée à l’avant des trois premières lignes d’artilleurs, le cœur battant. La tactique de combat était enfantine. Face à l’ennemi, les trois rangs tombaient à genoux. Le premier se levait, épaulait et tirait avant de reculer et de s’accroupir. Le deuxième puis le troisième prenaient ainsi le relais, laissant à chacun le temps de recharger son mousquet.
En face, l’ennemi faisait de même.
Celui des deux camps qui avait ouvert le premier une brèche permettait à ses cavaliers de s’y engouffrer. Les canons les y aidaient, ainsi que les grenades que les soldats lançaient en dernier recours avant de défendre leur vie qui ne tenait plus alors qu’à un fil, celui de l’épée.
Mary faisait mouche chaque fois. Autour d’elle, les corps tombaient, les uns après les autres. Elle n’avait pas le temps de les compter, encore moins d’y reconnaître ses amis. Elle n’avait qu’une envie, une obsession grandissante, celle de se jeter, l’épée en avant, à l’assaut de ces Français qui tiraient de l’autre côté. L’odeur de la poudre et du sang la galvanisait.
Elle armait son mousquet avec frénésie, refusant d’attendre que la troisième ligne ait repris sa place pour tirer. Sans même s’en apercevoir, elle avait lâché son poste, rechargeait et pointait à tout-va, encore et encore, intégrant la ligne qui s’avançait, sans se soucier de ne pas être à sa place. Une main la ramena vers l’arrière.
— Baisse-toi, rugit-on, tu vas te faire tuer !
Mary tourna la tête vers l’inconnu.
Il s’effondra à ses pieds, sa mise en garde à peine prononcée. Tout alors en elle se noya dans un brouillard sanglant. Elle en oublia les ordres, les règlements, et s’élança dans la brèche, près de ces cavaliers qui s’y enfonçaient en faisant tournoyer leurs épées pour décimer les fantassins ennemis. Elle hurla comme au plus violent de l’abordage, le ventre secoué d’un plaisir carnassier. Un poignard dans une main, son épée dans l’autre, plantant et replantant encore au hasard, la bouche écumante, le corps baignant dans ce sang furieux qui peu à peu l’inondait.
Elle ne s’arrêta que lorsqu’il n’y eut devant elle plus rien à percer.
Entendant enfin le clairon qui sonnait, elle réintégra ses lignes, épuisée par ses démons, mais prête encore à les vénérer. Ils avaient gagné cette bataille. L’armée française battait en retraite. On la félicita pour son acte de bravoure et elle fut mise trois jours au cachot, au pain sec et à l’eau, pour avoir désobéi aux ordres.
— L’armée est ainsi faite, mon garçon. Nous mourrons de nos contradictions ! avait déclaré le capitaine en lui tapotant l’épaule, au regret de la punir après l’avoir saluée.
Trois affrontements plus tard, Mary était toujours aussi obstinée et désobéissante ; si farouche, pourtant, qu’elle transmettait courage et ténacité autour d’elle. La punir encore aurait été une hérésie. Ses supérieurs décidèrent donc de lui confier une baïonnette et de la placer parmi les fantassins qui derrière la cavalerie achevaient les troupes désorganisées.
« Le fusil permet l’approche des rangs ennemis, la baïonnette sert le corps à corps », lui enseigna-t-on.
Mary hocha la tête, en souriant. Comme si cela n’avait pas été évident pour elle !
Elle s’engagea dans le combat, mais la maniabilité de cette arme, qui n’était en somme ni un mousquet ni une pique tout en se voulant des deux, lui valut d’être blessée à l’épaule d’un coup d’épée. Elle s’en trouva tellement vexée qu’elle laissa la colère l’emporter. Jouant de la baïonnette comme d’un sabre, elle embrocha le Français, récupéra la lame qui l’avait fauchée et, indifférente à la douleur, fendit et pourfendit jusqu’à ce que plus aucun corps ne se tienne debout à ses côtés.
C’est alors qu’il se passa quelque chose d’inhabituel. Le clairon sonna dans ses rangs le signal de la retraite et Mary demeura un instant interdite et déboussolée, l’épée ballante, incapable de se décider à rentrer. Il lui avait semblé que l’avantage leur était acquis, or les cavaliers revenaient vers elle et la débandade gagnait son camp. Elle jura et se mit à courir à son tour, frustrée.
Un cheval la frôla.
Affolé par le sifflement d’un boulet de canon, l’animal fit un brusque écart,
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