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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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y
régnait, je trouvai la pièce assez obscure, en dépit des innombrables
chandelles, lampes et autres torches qui l’illuminaient. Les lampes étaient
posées sur les différents meubles, les torches fixées à intervalles réguliers
sur les murs de pierre, et des chandelles, parfois collées à l’aide de leur
seule cire, parsemaient les rochers, quand elles n’étaient pas tout simplement
transportées à la main par la multitude d’ouvriers.
    — Je croyais que c’était jour de repos,
aujourd’hui, déclarai-je à la princesse.
    — Pour les musulmans, me rappela-t-elle. Ceux-là
sont tous des esclaves, entre autres des Russes chrétiens. On les autorise à
chômer le dimanche, qui est leur jour de sabbat.
    Seuls quelques-uns des esclaves étaient des hommes et
des femmes adultes. Ils étaient alors absorbés à des tâches variées, comme
mélanger la teinture dans les bacs posés au sol. Les autres, tous des enfants,
travaillaient suspendus dans les airs, flottant assez haut dans la caverne. Je
sais que cela ressemble à l’un de ces contes chers à la shahryar Zahd, mais
c’était pourtant l’exacte réalité. Du dôme élevé de la caverne pendait un
alignement de centaines de cordes parallèles rapprochées qui formait comme un
gigantesque peigne, aussi haut et large que la superficie de la caverne.
C’était à l’évidence la trame d’un qali qui, une fois terminé, irait
orner la salle de bal ou l’immense chambre d’un palais. Tout en haut, accrochés
à des cordes sans doute tenues par d’invisibles mains perdues dans l’obscurité
du plafond, pendaient une foule d’enfants.
    Ces jeunes garçons et filles, tous entièrement nus – à
cause de la chaleur ambiante, confia la princesse Phalène –, pendaient à différentes
hauteurs sur toute la largeur de l’ouvrage. Vers l’extrémité supérieure de la
trame, le qali semblait plus ou moins déjà terminé, jusqu’à la hauteur
où travaillaient les enfants. Dès ce stade encore précoce d’avancement du
travail, je devinais un enchevêtrement de plantes de jardin multicolores d’une
extrême complexité. Chacun des petits ouvriers acrobates avait sur la tête une
chandelle, fixée par sa seule cire, et tous étaient fort affairés, mais je ne
pus discerner à quoi. Ils semblaient pincer de leurs petits doigts l’extrémité
inférieure encore inachevée du qali.
    La princesse me détailla la manœuvre :
    — Ils sont en train de tisser les fibres sur la
trame. Chaque esclave tient une navette et un écheveau de fil d’une seule
couleur, et le tisse bien serré à l’endroit exact où il faut, selon
l’agencement nécessité par le motif général.
    — Mais comment diable, m’enquis-je, chacun de ces
enfants peut-il savoir où et quand il devra intervenir et accomplir sa part de
travail, parmi un si grand nombre de tisserands, sur une toile aussi
compliquée ?
    — Le maître du qali leur chante ses
ordres, indiqua-t-elle. Il s’est interrompu à notre arrivée, mais tiens, tu
entends ? Il vient de reprendre.
    C’était une chose merveilleuse. Cet homme, le maître
du qali, était assis derrière une table sur laquelle se trouvait étalée
une gigantesque feuille de papier. Elle était quadrillée d’un grand nombre de
petites zones de couleur qui représentaient le dessin du qali dans sa
totalité. Le maître tisserand interprétait à voix haute cette partition
graphique, scandant des ordres tels que « un, rouge !... treize,
bleu !... quarante-cinq, marron ! ».
    Sauf que ce qu’il chantait était en réalité beaucoup
plus complexe encore. Il fallait en effet qu’il soit entendu fort et clair
jusqu’en haut de la caverne, que chacun des enfants comprenne sans erreur que
c’était lui qu’on appelait tout en maintenant une cadence qui permettait à tous
de travailler en harmonie. Si les mots prononcés prévenaient chaque
ouvrier qu’il devait intervenir, c’est la tonalité de la voix (plus ou
moins aiguë ou grave) qui lui indiquait sur quelle longueur de trame il devait
tisser sa fibre, et à quel endroit il devait finalement la nouer. Grâce à cette
ingénieuse méthode de travail, les jeunes esclaves donnaient vie au qali, brin
par brin, ligne par ligne, sur toute la hauteur de la trame et jusqu’au sol de
la caverne. Lorsque celui-ci serait achevé, il semblerait n’avoir été peint que
par un seul et même artiste.
    — Ce qali peut à lui seul coûter de
nombreux esclaves, ajouta la

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