Les voyages interdits
prises, une fois de plus :
— Tout cela à cause de ta soutane, affirmait mon
père. Le fait de voir en toi un prêtre dépouillé de toute richesse l’a conduit
à vouloir nous dépouiller des nôtres.
— Pas du tout ! répliqua mon oncle. Il
aurait de toute façon trouvé une autre excuse, si celle-ci ne lui était pas
venue à l’esprit. Ce qu’il nous faut faire, c’est lui offrir de nous-mêmes une
part de notre magot, en espérant qu’il voudra bien négliger le reste.
— Eh bien..., fit mon père, absorbé dans une profonde
réflexion, pourquoi ne pas lui offrir nos poches de musc ? Au moins,
celles-ci nous appartiennent.
— Oh, allons, Nico ! À ce barbare qui suinte
la sueur ? Le musc sert à parfumer délicatement. Autant lui offrir un sac
rempli de fumée, pour l’usage qu’il en ferait !
Ils en restèrent là, mais je cessai d’écouter, car
j’avais mon idée et je pris à part Narine pour lui expliquer le rôle qu’il
aurait à y jouer.
Le jour suivant, alors que seule une petite bruine
humectait doucement l’air, Narine chargea deux de nos trois chevaux de bât de
nos coûteuses marchandises (que nous gardions, bien sûr, précieusement
enfermées dans nos chambres durant notre séjour au caravansérail) et ficela par
la même occasion ma feuille de cuivre sur l’un de nos chevaux, qu’il conduisit
jusqu’au bok des Mongols. Dès que nous fumes arrivés devant la yourte de
Kaidu, il resta dehors pour décharger les offrandes et, tandis que les gardes
de l’ilkhan les transportaient à l’intérieur, il s’occupa de les débarrasser de
leur emballage protecteur.
— Huil s’exclama
Kaidu, alors qu’il commençait à inventorier les différents objets. Ces plateaux
d’or gravés sont superbes ! Offerts par le shah Zaman, avez-vous dit, uu ?
— Oui, répondit fraîchement mon père.
Et mon oncle ajouta, d’une voix mélancolique :
— Un jeune garçon nommé Aziz les a un jour portés
à ses pieds quand nous traversions les terres tremblantes...
Je sortis un mouchoir et y vidai bruyamment mon nez.
À cet instant, nous parvint du dehors un murmure
grondant, comme un bourdonnement léger. L’ilkhan leva les yeux, surpris, et
demanda :
— N’était-ce pas le tonnerre, uu ? Je
pensais qu’il ne tombait qu’un vague crachin...
— Puissé-je informer le puissant seigneur Kaidu,
dit l’un de ses gardes en s’inclinant profondément, que le ciel est gris et
humide, mais qu’il n’y court aucun nuage orageux.
— Curieux, marmotta Kaidu, et il reposa au sol
les plats dorés.
Il farfouilla parmi les multiples autres pièces qui
s’accumulaient dans sa tente et, dénichant un élégant collier de rubis, s’exclama
de nouveau : « Hui ! » Il le tint pendu devant ses
yeux pour l’admirer.
— L’ilkhatun vous en remerciera personnellement.
— Qu’elle aille en remercier le sultan
Kubt-ud-Din, répliqua sobrement mon père.
Je me mouchai alors une seconde fois le nez. L’écho du
tonnerre se fit à nouveau entendre du dehors, un peu plus accentué. L’ilkhan
eut un sursaut tel qu’il en lâcha le pendentif de rubis. Sa bouche s’ouvrit
sans proférer un son – mais articula un mot que je lus sur ses lèvres –, et il
observa soudain à voix haute :
— Tiens, voilà que ça recommence ! Du
tonnerre, alors qu’il n’y a dans le ciel aucun nuage d’orage... Uu... ?
Lorsqu’un troisième article frappa son œil cupide, un
rouleau de fine étoffe du Cachemire, je lui laissai à peine le temps de
s’écrier « Hui ! » avant de souffler dans mon mouchoir,
et le tonnerre émettant alors un grondement menaçant, il rejeta la main au loin
comme si le tissu l’avait soudain brûlé puis, de nouveau, articula des lèvres
le mot. Mon père et mon oncle me jetèrent de côté un regard soupçonneux.
— Pardonnez-moi, seigneur Kaidu, fis-je, l’air
dépité. Je pense que ce temps menaçant m’a donné un coup de froid.
— Je vous le pardonne, lança-t-il avec
désinvolture. Ah-ah ! Et cela, ne serait-ce pas l’un des ces fameux qali persans, uu ?
Mouchage. Véritable éclat de tonnerre vibrant. Sa main
tressaillit, le mot déforma convulsivement ses lèvres, et il jeta un coup d’œil
alarmé vers le ciel. Puis ses yeux, dont les fentes étroites s’étaient alors
presque arrondies, errèrent sur nous, puis tout autour, et il jeta,
éperdu :
— Je n’ai fait que me jouer de vous !
— Mon seigneur ?
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