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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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plat de planches aussi vaste qu’une prairie, monté sur un
essieu gros comme un tronc d’arbre, avec des roues grandes comme celles d’un
moulin. Pour le mettre en mouvement, appris-je plus tard, il ne fallait pas
moins de vingt-deux yacks attelés en onze paires de front. (Il valait mieux que
ces tracteurs fussent des bêtes placides, yacks ou bœufs, car des chevaux ou
des chameaux n’auraient jamais travaillé à si peu de distance les uns des
autres.)
    Le messager se pencha entre les battants de feutre
pour annoncer notre arrivée à son seigneur, ressortit la tête et fit un
moulinet de bras nous intimant d’entrer. Puis, comme nous passions devant lui,
il barra le passage à Narine en grognant : « Pas
d’esclaves ! » et le repoussa dehors. Il y avait une raison à cela.
Les Mongols se considèrent comme supérieurs par nature à tous les autres hommes
libres de cette Terre, rois et empereurs compris, aussi tout homme tenu pour
inférieur par leurs inférieurs est indigne même de leur mépris.
    L’ilkhan Kaidu nous regarda en silence tandis que nous
traversions l’intérieur richement tapissé et meublé de coussins, jusqu’à
l’endroit où il était assis sur un tas de fourrures bariolées et tachetées –
des peaux de tigres et de léopards, à l’évidence – sous un dais qui le
surélevait encore à nos yeux. Il était revêtu d’une armure scintillante aux
cuirs riches et aux ornements de métal polis, et portait sur la tête un bonnet
à oreilles en karakul. Ses sourcils, d’une dimension impressionnante,
semblaient deux morceaux de ce noir karakul. Au-dessous, les fentes de ses yeux
brillaient d’une flamme rouge que notre seule vue semblait faire étinceler
d’une rage contenue. De part et d’autre se tenaient deux guerriers, aussi
élégamment caparaçonnés que celui qui nous avait conduits jusqu’ici. L’un
brandissait bien haut une lance, l’autre retenait au bout d’une perche le dais
tendu au-dessus de sa tête, et tous deux étaient rigides comme des statues.
    Nous nous approchâmes lentement. Une fois parvenus en
face du trône de fourrures, nous esquissâmes une légère révérence emplie de
dignité et levâmes le regard vers Kaidu, attendant de lui le premier signe qui
donnerait le ton à cette rencontre. Il continua durant un certain temps à nous
écraser d’un regard méprisant, comme si nous n’avions été que de la vermine
rampant sur le sol de sa yourte. Puis il fit quelque chose de dégoûtant. Il
entama un profond raclement de gorge, faisant remonter un gros paquet de glaire
dans sa bouche, s’arracha languissamment de la couche sur laquelle il était
affalé, se redressa et se tourna vers le guerrier situé à sa droite. Doucement,
il pressa du pouce son menton, de façon que sa bouche s’ouvrît. Tranquillement,
Kaidu cracha directement dans la bouche de l’homme la boule de substance qu’il avait
remontée, avant de la refermer du pouce (l’expression et la rigidité du
guerrier n’avaient pas changé), de regagner avec morgue son siège et de reposer
sur nous des yeux rougeoyant d’une lueur mauvaise.
    Ce geste avait été à l’évidence soigneusement calculé
pour nous inspirer un respect mêlé de crainte devant son pouvoir, son arrogance
et son inimitié, et il m’aurait sans aucun doute intimidé, je l’avoue. Mais
l’un d’entre nous au moins — Matteo Polo – n’était pas impressionné.
Lorsque Kaidu prononça ses premiers mots, en langue mongole et d’une voix
rude :
    — Maintenant, espèces d’intrus..., il n’alla pas
plus loin car mon oncle l’interrompit de façon incroyablement téméraire, dans
la même langue :
    — D’abord, si cela plaît à l’ilkhan, nous
chanterons une louange à Dieu de nous avoir conduits sains et saufs à travers
tant de contrées jusqu’à l’auguste présence du seigneur Kaidu.
    Et, à mon plus total ébahissement (ainsi probablement qu’à
celui de mon père et des autres Mongols), il entonna en beuglant le vieil hymne
chrétien :
    A solis orbu cardine
    Et usque terre limitem...
    — Il ne plaît pas à l’ilkhan, siffla Kaidu entre
ses dents, à l’instant où mon oncle reprenait sa respiration.
    Mais mon père et moi-même, enhardis, le rejoignîmes
pour continuer les deux vers suivants : Christum canamus principem
Natum Maria virgine...
    — Assez ! explosa Kaidu, et nos voix
s’estompèrent.
    Fixant ses yeux fulminants sur oncle Matteo,

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