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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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qui pût être qualifié de résidence
privée), tandis qu’au-dessus se dressaient les édifices plus imposants
d’églises, de monastères, d’un hôpital et du château de la cité. Plus loin dans
les terres, derrière le château, une haute muraille de pierre flanquée de douze
tours crénelées ceignait la ville d’un demi-cercle, depuis le port jusqu’à
l’extrémité opposée de sa façade maritime. Cela m’apparut comme une mâchoire de
cadavre hérissée de dents. De l’autre côté de la muraille, m’informa le
capitaine, se trouvaient le camp des chevaliers croisés et, au-delà, un second
mur, si possible encore plus robuste, érigé telle une barrière qui séparait la
pointe de terre sur laquelle se dressait la ville du reste du pays, entièrement
tombé aux mains des Sarrasins.
    — Voici notre ultime possession chrétienne en
Terre sainte, constata tristement le prêtre du bord. Soyez-en sûrs, elle tombera
elle aussi, dès que les infidèles auront décidé de s’en rendre maîtres [16] . La huitième
croisade a été si vaine que les croisés ont définitivement perdu toute ferveur.
Il en arrive d’ailleurs de moins en moins. Comme vous l’avez remarqué, il n’y
en avait aucun sur ce bateau. Les forces présentes à Acre sont donc incapables
de porter la moindre escarmouche à l’extérieur des murailles.
    — Humpf, soupira le capitaine. Les chevaliers n’y
songent même plus, désormais. Ils sont membres d’ordres si nombreux
— Templiers, Hospitaliers, que sais-je encore... – qu’ils préfèrent se
battre entre eux... quand ils ne s’ébattent pas scandaleusement avec les
carmélites et les clarisses !
    Le chapelain eut un haut-le-corps, sans raison bien
apparente à mes yeux, et jeta d’un ton indigné :
    — Je vous en prie, monsieur, un peu de respect
pour la soutane que je porte.
    Le capitaine se contenta d’un haussement d’épaules.
    — Déplorez-le tant que vous voudrez, mon père,
vous ne pourrez en tout cas le nier. (Il se tourna vers mon père.) Les troupes
ne sont pas seules à être en plein désarroi. La population civile, ou ce qu’il
en reste, est en totalité composée de fournisseurs ou de serviteurs des
chevaliers. Les Arabes natifs d’Acre sont trop vénaux pour nourrir la moindre
inimitié à l’égard des chrétiens que nous sommes. En revanche, ils sont depuis
toujours à couteaux tirés avec les Juifs de la ville. Le reste des habitants se
compose d’une masse hétéroclite et fluctuante de Pisans, de Génois ou de nos
compatriotes vénitiens, tous rivaux et aussi prompts à se quereller. Si vous
avez l’intention de commercer tranquillement dans cette ville, je ne saurais
trop vous conseiller de vous rendre dès que vous aurez accosté vers le quartier
vénitien et de vous y installer, en évitant de vous laisser entraîner dans les
discordes locales.
    Nous rassemblâmes donc nos bagages dans la cabine et
procédâmes aux préparatifs du débarquement. Le quai grouillait d’individus
aussi dépenaillés que crasseux, qui se bousculaient
autour de la passerelle, agitant les bras et se houspillant les uns les autres,
tout en proposant d’une voix criarde leurs services en français commercial,
mais aussi en une multitude d’autres idiomes.
    — Pour vos bagages, monsieur ?
Seigneur marchand ! Messire ! Mirza !
Cheikh khaja !...
    — Vous allez à l’auberge ? Locanda ! Caravansérail ! Krane !...
    — Avez-vous besoin de chevaux ? Ânes !
Chameaux ! Porteurs !...
    — Qui veut un guide ? Guide parlant le sabir !
Guide parlant le farsi !...
    — Envie d’une femme ? Une belle femme bien
grasse ! Une nonne ! Ma sœur ! Mon petit frère !...
    Mon oncle se contenta de recruter quelques porteurs et
choisit pour cela, parmi ceux qui se présentaient, cinq des moins repoussants.
Le reste reflua d’assez mauvaise grâce, brandissant les poings et lâchant des
imprécations imagées :
    — Qu’Allah vous regarde de travers !
    — Crevez étouffés en mangeant du cochon !
    — Allez tous vous faire foutre !
    — Allez brouter vos putains de mères !
    Les marins déchargèrent notre cargaison de la cale, et
nos nouveaux porteurs hissèrent nos paquets sur leur dos, sur leurs épaules,
voire sur leur tête. Matteo les pria, d’abord en français puis en farsi, de
nous conduire dans la meilleure auberge du quartier de la ville réservé aux
Vénitiens, après quoi nous quittâmes le quai.
    J’avoue que je

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