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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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bavarder avec toi. On m’attend à Narbonne.
    — Si tu me dis que je ne servirai à rien à Savignac, j’ai bien envie de t’accompagner. M’accepterais-tu à ton côté ? Je suis un peu fatigué de marcher.
    — Oui, à une condition.
    — Laquelle ?
    — Que tu ne me chantes pas tes chansons.
    — J’avais justement la voix un peu enrouée par les efforts que j’ai faits et par les courants d’air que nous autres, troubadours, sommes obligés de subir dans des couloirs glaciaux en attendant notre tour.
    — Monte, alors.
    Stranieri saute dans la charrette et Touvenel relance son cheval. Le soir commence à tomber sur les rangs de vignes aux ceps effeuillés depuis déjà deux mois par les vendangeurs. Au-dessus d’eux les rapaces commencent leurs chasses vespérales. Les deux hommes cheminent un moment en silence, tout en s’observant en coin. Le chevalier demande subitement à son compagnon :
    — Tu ne retournais pas voir Amaury, c’est moi que tu venais chercher, n’est-ce pas ?
    Stranieri temporise un moment, puis admet :
    — Comment l’as-tu deviné ?
    — Je ne sais pas jouer avec les mots, comme toi, ni avec les pensées comme d’autres le font. Je sais à peine lire, et encore moins écrire. Mes parents sont morts trop tôt pour me laisser le loisir d’apprendre. Je n’ai pas non plus cet instinct des sentiments qu’ont les femmes. Mais j’ai celui du chasseur. Ou de la bête chassée, c’est le même. Je sens venir de très loin les gens qui me cherchent. C’est la guerre qui me l’a appris, à force de rester toujours sur mes gardes.
    — Eh bien, tu as vu juste. Je venais pour te voir, car j’ai à te parler.
     
    Une poigne vigoureuse se referme sur le bras de Touvenel. Une voix d’homme, autoritaire, lui lance :
    — Suffit, chevalier ! Affronte la réalité ! Rien ne te sert de la fuir ou de la pleurer, tu n’y trouveras aucun réconfort.
    Assis sur le talus du fossé, Touvenel pleure. Dans le contre-jour aveuglant, les yeux brouillés par ses larmes, il distingue avec peine la silhouette du troubadour qui l’a saisi par les épaules et le force à se relever. Il titube vers la charrette, s’appuie sur un montant, balbutie des mots désordonnés, puis soudain se penche en avant et vomit. Il reste un long moment à hoqueter. Enfin calmé, il se redresse, souffle et emplit à plusieurs reprises ses poumons de l’air frais du soir. Il se passe enfin une main devant les yeux, bombe le torse, contracte ses muscles et redevient Bertrand de Touvenel, seigneur de Carrère.
    — Violée, ils l’ont violée ?
    — Je l’ai entendu dans une conversation que j’ai surprise entre Gasquet et cet homme, au château d’Aguilar. Ils étaient seuls dans cette chapelle. Ils ne m’ont pas vu, j’étais caché par un pilier.
    — Tu as bien dit Godefroy, son ancien écuyer ? Je me souviens de lui. Nous étions amis, tous les trois, dans notre jeunesse. Il serait devenu ermite ?
    — Il en portait la robe et l’affirmait.
    — Et c’est après ce viol commis ensemble sur ma pauvre femme qu’elle se serait jetée du haut de la tour, de désespoir ?
    — Ils l’ont prise par-devant et par-derrière. Et au même moment. Ce Godefroy disait au seigneur de Gasquet en avoir gardé une si vive honte que c’est après cela qu’il aurait décidé de se retirer du monde pour expier sa faute. Et il le priait, sinon d’en faire autant pour lui-même, au moins de s’en repentir et d’en faire pénitence, par pèlerinage ou flagellation. Faute de quoi, il serait à coup sûr promis à l’Enfer.
    — Et lui, Gasquet, que répondait-il ?
    — Il se moquait de ce Godefroy, et lui affirmait qu’il pourrait remettre le feu à ton château si tu le rebâtissais, et forcer encore une fois l’honneur de ta nouvelle femme, si tu en reprenais une. Tout comme il continuerait à mettre le feu et à forcer les femmes de tous ceux, qui comme toi, avaient rejoint les rangs des cathares ! Et que cela ne pourrait en aucun cas lui valoir l’Enfer, puisque vous étiez tous des suppôts de Satan, mais bien plutôt le conduire directement au Paradis. Peut-être même – a-t-il ajouté – à la droite du Seigneur.
    C’en est trop, soudain, pour Touvenel.
    — L’ignoble monstre ! Je veux le tuer de mes mains.
    Cette brusque explosion de fureur le laisse curieusement immobile, les yeux fous de douleur braqués dans ceux de Stranieri. Il reste ainsi un long moment, figé

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