L’ESPION DU PAPE
d’une cheminée. Il finit de lire la missive du pape que l’espion lui a transmise. Il lui jette un regard intrigué.
— C’est donc toi, Stranieri ?
— Oui, seigneur. Mais je porte parfois d’autres noms, selon le pays où je me trouve.
— Ici, comment te nommes-tu ?
— François Lestranger.
— Tu y as intérêt, plaisante le comte, car ta réputation pourrait t’y précéder.
— C’est trop d’honneur pour moi que vous le pensiez.
Les deux hommes se jaugent un moment.
— Quel dommage que tu serves une aussi mauvaise cause !
— Je sers l’Église catholique romaine, monseigneur. Il me semblait que vous étiez vous aussi à son service. Me serais-je trompé ?
Le comte a un mouvement d’agacement. Quittant brusquement son fauteuil, il va se chauffer les mains aux flammes de l’âtre.
— Tu ne sers peut-être pas une mauvaise cause, mais un mauvais maître. Sais-tu ce que contient la missive qu’il t’a chargé de me transmettre ?
— Bien sûr, monseigneur.
— Curieuse diplomatie ! Je n’ai pas, pour ma part, l’habitude d’informer mes messagers du contenu des messages qu’ils portent pour moi.
— C’est que je ne suis pas seulement chargé de porter ce message, monseigneur. Mais aussi, si vous le permettez bien sûr, de discuter avec vous de votre réponse.
— Un négociateur ! J’ai déjà Castelnau.
Stranieri se contente d’écarter les mains dans un geste d’impuissance, comme pour signifier qu’il ne fait qu’exécuter les ordres qu’on lui a donnés. Le comte le scrute encore un moment, puis se rassoit en face de lui.
— Sache bien que je n’ai rien contre toi. Et que, somme toute, je préfère discuter avec un espion qu’avec un légat.
— C’est, je crois, ce que notre Saint-Père a pensé.
Un lourd silence retombe entre les deux hommes. Raymond VI observe un moment Stranieri qui ne baisse pas les yeux.
— L’ennui est que je n’ai rien à discuter. Cette missive que tu m’apportes est tout simplement insultante. Ton Saint-Père menace une fois de plus d’exposer mon domaine en proie, si je ne tourne pas mes forces contre les hérétiques. Mais tu as pu voir comme moi qu’il y a un juste équilibre entre les deux communautés. Pourquoi mettrais-je mon pays à feu et à sang en m’attaquant à l’une d’elles, alors qu’elles sont pour le moment en paix ?
— Parce que c’est une paix provisoire qui menace à chaque instant de se briser. Et que, pour l’obtenir, vous nous avez privés de toute ressource et protégez ceux qui vilipendent la vraie religion.
— J’ai privé seulement un clergé cupide et corrompu de se vautrer dans le lucre avec l’argent de mes sujets.
— Notre pape pense que ce n’est pas à vous d’en juger ni de châtier à sa place les pasteurs égarés. Il a déjà porté condamnation contre plusieurs de ses évêques et démis certains d’entre eux de leurs fonctions.
Le comte de Toulouse balaie l’argument d’un revers de la main.
— Un coup d’épée dans l’eau ! Rien n’a changé pour autant. Ils sont aussi arrogants qu’avant. Veux-tu quelques exemples des comportements de vos envoyés ? Il y a quelques semaines, l’un d’eux s’est plu à humilier sur la grande place de Toulouse un bourgeois convaincu d’hérésie en le forçant à s’agenouiller et à faire son signe de croix avant de le faire emmener par ses hommes d’armes dans un cachot de l’abbaye de Fontfroide.
— Et vous avez, en réponse, chassé publiquement ce prélat de vos terres.
— Que pouvais-je faire d’autre ? Quelques jours plus tard, c’est au tour de ton Pierre de Castelnau de forcer à l’abjuration l’évêque cathare de Toulouse, en le surnommant « le plus grand apôtre de Satan ». Et cela, manu militari et sur la grande place de ma ville !
— Vous avez, en représailles, déposé tous les clercs et évêques du Toulousain, en les accusant d’acheter leurs charges avec les impôts prélevés sur leurs fidèles.
— C’était justice, là encore.
— Peut-être. Mais c’est une réponse que notre Église, qui est aussi la vôtre, ne peut tolérer.
— Qu’as-tu à me proposer, alors, puisque tu te dis négociateur ?
— Si vous refusez de prendre les armes contre vos sujets, le Saint-Père souhaite au moins que vous retiriez publiquement votre appui aux hérétiques.
— Il n’en est pas question.
Stranieri se lève et fait face au
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