L’ESPION DU PAPE
Albigeois.
— Il suffirait, pour les lui donner, que notre Saint-Père réussisse à négocier une trêve séparée entre la France et l’Angleterre et que les frais de l’expédition soient assurés par un subside levé sur le clergé et les nobles.
Le comte, cette fois, éclate de rire.
— Autant attendre que les poules aient des dents ! Ton pape est sans action sur Jean sans Terre.
— Qu’en savez-vous ?
— Les espions que j’ai auprès du Saint-Siège m’ont appris qu’il se préparait à l’excommunier, comme moi.
Stranieri ne peut, cette fois, s’empêcher d’accuser le coup. Ce sont ses propres services qui sont mis en cause pour ne pas avoir découvert cette infiltration. Pris de court, il reconnaît :
— Vous êtes bien renseigné.
Le comte le considère d’un œil amusé.
— Je n’en tire aucune gloire. Il suffit d’y mettre le prix, tu le sais aussi bien que moi.
Il se lève de son fauteuil, s’approche de Stranieri et lui tape sur l’épaule.
— Allez, remets-toi. Tu n’as pas échoué dans ta mission. Elle était simplement impossible.
Stranieri se lève à son tour.
— Je n’ai pas fini, monseigneur.
Le comte lui jette un regard irrité.
— Dépêche-toi, alors.
— Le Saint-Père m’a chargé de vous avertir qu’il ne comptait pas seulement s’adresser au roi de France, mais qu’il ferait les mêmes injonctions à tous les grands feudataires de la couronne.
— Par exemple ?
— Le duc de Bourgogne, les comtes de Bar, de Nevers et de Dreux, la comtesse de Champagne, et tous les comtes, barons, chevaliers et fidèles du royaume de France, auxquels il promettra les mêmes indulgences que pour une croisade en Terre sainte, s’ils lèvent leurs armées contre vous.
Le comte reste un moment silencieux, comme s’il évaluait le poids de la menace, puis il hausse les épaules.
— Leurs armées réunies sont de loin inférieures à mes propres forces. Brisons là. J’ai été ravi de te connaître.
Sans doute pressé de retrouver les acclamations de son peuple sur la place publique, il s’éloigne avec une dernière offre à Stranieri.
— Repense à ma proposition. Depuis la mort de mon fidèle Renaud, je manque de bons conseillers. Cela ne durera pas, l’occasion est à saisir. Il n’y a pas d’avenir à Rome.
23.
Quand Touvenel et Constance arrivent à la maison Paunac, ils constatent que ni Amaury ni Yasmina n’y sont revenus. L’angoisse saisit le chevalier lorsqu’il apprend qu’un convoyeur, à la charrette chargée de peaux de bêtes et de fourrures, a rapporté avoir aperçu dans la campagne, non loin du Bois d’Amour, une troupe de cavaliers vêtus de blanc qui semblaient se livrer à une battue. D’autant que l’homme a ajouté avoir rencontré, un peu plus loin, un jeune cavalier à la recherche d’une fille à la peau basanée.
— Il faut très vite aller sur les lieux ! s’exclame Constance. Trouve des hommes pour t’accompagner. Depuis longtemps, nous aurions dû former cette milice qu’Amaury réclamait.
Elle le pousse dehors, sans ménagement.
— Retrouve-les ! S’il leur est arrivé quelque chose de fâcheux, tu pourras t’en tenir pour responsable. Ils ont fui la maison à cause de toi, de ta rigidité et de ton intolérance.
Touvenel a réussi à convaincre Salomon, le forgeron maréchal-ferrant, et trois autres paysans de l’accompagner. Tous les autres se sont excusés en prétextant le bois à rentrer avant la pluie, leurs bêtes à mener aux pâtures, ou le grain à moudre qu’il faut porter d’urgence.
« Ce n’est pas avec mon épée, trois fourches et une masse, que je pourrais faire face aux hommes de la Confrérie Blanche », pense le chevalier en s’engageant, avec sa maigre troupe, sur le chemin du Bois d’Amour, lui à cheval, les autres à pied. Rongé par les reproches que Constance lui a adressés sur son intransigeance envers Yasmina, les dernières paroles qu’elle lui a lancées le hantent : « Quel homme es-tu donc, pour ne pas comprendre ? Tu m’avais habitué à te voir autrement. Je te croyais généreux, je m’aperçois que tu es aussi étroit d’esprit que de cœur. Au moins, fais preuve d’intelligence ! Ta fille ressemble à toutes les femmes, elle n’obéit qu’à ce que son âge lui commande. »
Ballotté au pas de son cheval, honteux de son comportement, l’esprit en tumulte, il en oublie que, derrière lui, ses compagnons, les pieds
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