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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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qu’Innocent III lui a envoyée pour se faire reconnaître par Raymond VI comme son émissaire. Il la passe à son annulaire gauche et en fait jouer le large chaton pour découvrir un grand diamant de forme octogonale, à nul autre pareil. Il le dirige vers les rayons du soleil d’hiver en pensant qu’après tout la vie n’est pas si mauvaise que ça, qu’on ne peut en tout cas pas la refaire de fond en comble à quarante-cinq ans, et qu’il est déjà bien beau d’avoir atteint cet âge-là en gardant presque toutes ses dents et l’essentiel de sa chevelure.
     
    Jamais le bourg de Lagarde n’a connu un tel rassemblement de chevaliers, de hérauts et d’hommes d’armes, un tel déploiement de fanions portés haut dans le ciel autour de Raymond VI, le fier, puissant et aimé comte de Toulouse. Le grand seigneur vient de franchir la première porte du village fortifié dont les rues concentriques s’enroulent autour du château, de ses murailles et de ses tours. Sur la place, bourgeois, artisans et paysans, qui ont l’habitude de côtoyer les sergents, les dames et les chevaliers dans les rues bruissantes de l’activité des petits métiers, se sont regroupés pour saluer leur seigneur. Acclamé aussi bien par les catholiques que par les « bons hommes » et les « bonnes femmes », Raymond VI emprunte la grande rue qui monte à la porte du château et peut se réjouir de la fidélité de ses sujets.
    Stranieri s’est fondu dans la foule et attend le moment opportun pour approcher le comte et se faire reconnaître discrètement. Il veut d’abord observer l’homme, qu’il ne connaît que de réputation. Bien sûr, il s’est soigneusement renseigné sur lui et sait qu’on le dit plutôt pacifique. N’a-t-il pas réussi pour l’instant à maintenir vaille que vaille la paix entre les deux communautés ? Aussi fragile soit leur équilibre, ce n’est déjà pas rien. Le comte, seigneur d’un fief presque aussi puissant que le royaume de France, a aussi à son actif d’avoir fait, d’un côté la paix avec l’Angleterre, de l’autre avec l’Aragon dont il s’est allié au roi. Mais qu’en est-il exactement de sa position vis-à-vis de l’hérésie ? Nul ne le sait vraiment. D’après ce que Stranieri a pu comprendre, Raymond VI la protège sans en avoir l’air, et c’est bien ce qu’Innocent III lui reproche. Mais pour quel motif le fait-il ?
    Castelnau a appris à Stranieri que le comte avait déjà épousé quatre femmes et forcé la deuxième, Béatrice, sœur de Roger II, vicomte de Béziers, à demander le consolamentum afin de pouvoir librement la répudier en faisant mine de s’en indigner. Le légat le soupçonne, lui et ses barons, de se servir du catharisme pour résoudre leurs difficultés matrimoniales et pouvoir répudier leurs femmes en affectant d’être de bons catholiques, indignés par les « hérésies » de leurs compagnes. Un double jeu pervers qui arrange tout le monde. Castelnau l’a clairement prétendu, lorsqu’il a fait entendre au comte qu’il n’en était pas dupe, et c’est pourquoi les rapports entre les deux hommes se sont dégradés à un point tel qu’ils ne se parlent plus que par personnes interposées ou par missives assassines. Celles de Raymond VI sont les plus insultantes, le grand seigneur ne perdant pas une occasion de faire savoir au prélat qu’il le méprise et même qu’il le hait.
    Jouant à merveille les apparences du bon catholique, il a su entretenir en même temps dans sa somptueuse cour de Toulouse un cercle de troubadours qui rivalisent d’habileté dans les satires les plus aiguës contre les clercs, les légats, les évêques et autres représentants de l’Église. Leur réputation est telle qu’elle a franchi les frontières, et qu’à Rome, comme dans les royaumes de France ou d’Aragon, on ne nomme plus sa capitale que « Toulouse l’hérétique ». La richesse de la ville, sa puissance commerciale, sa position stratégique sur les routes qui relient l’Italie à l’Espagne et le sud au nord, la renommée acquise par son université qui égale celle de Paris, tous ces atouts provoquent l’envie de ses voisins et la font apparaître comme la clef de voûte de la nouvelle religion, celle des Pauvres du Christ que leurs ennemis continuent d’appeler « Apôtres de Satan ».
    Stranieri a bien compris que la pensée de Castelnau était un peu courte et que, si Raymond VI se montrait aussi

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