L’ESPION DU PAPE
meurtris par les cailloux et les ornières du chemin, dans leurs mauvais brodequins de cuir, peinent à le suivre.
Pendant deux jours, ils explorent les environs. À la nuit, le feu de leur bivouac éclaire leurs visages creusés par la fatigue des recherches à travers garrigues, ravines, bois de chênes verts, éboulis rocheux et raidillons sinueux. Tous ont reconnu de nombreuses traces de sabots imprimées dans le sol, aucun n’a repéré de présence humaine.
À l’aube du troisième jour, deux des quatre hommes annoncent qu’ils ne peuvent poursuivre les recherches plus longtemps et qu’ils doivent retourner à Savignac. Le troisième hésite, puis se joint à eux : on l’attend, lui aussi. Seul, Salomon serait d’accord pour assister Touvenel une journée de plus, mais à quoi bon ? Le chevalier décide de renoncer. Torturé par la disparition de sa fille – ou sa fuite – il répugne encore à s’en accuser. Accablé de doutes, assis devant le feu, la tête basse et le dos voûté, il interroge ses compagnons :
— N’ai-je pas eu raison de me fâcher ? Ce ne sont pas des choses qu’on doit faire en dehors des liens sacrés du mariage. L’auriez-vous toléré de vos filles ?
Ses compagnons se regardent sans lui répondre. Seul Salomon ose répliquer, d’un haussement d’épaules :
— Quelle différence cela fait-il, de se marier avant ou après ces choses, comme tu dis ? Que fais-tu donc toi-même avec la fille Paunac ? As-tu le sentiment de pécher ou de faire mal avec elle ? Vous n’êtes cependant pas mariés, que je sache !
Touvenel se tait, blessé par les sourires qu’il voit se dessiner sur les visages de ses compagnons.
Revenu chez les Paunac, il marche à présent nerveusement de long en large dans l’atelier, en frappant sa jambe du plat de son épée. Constance fait des manières pour le recevoir. L’une de ses ouvrières lui fait comprendre qu’il n’est plus un hôte privilégié de la maison. Elle ajoute que M. de Paunac, de passage la veille, a lui aussi donné des ordres en ce sens et que, malgré la règle d’hospitalité des « bons hommes », on se méfie dorénavant des étrangers. Particulièrement de ceux qui professent l’incroyance, et qu’on y hébergera plus facilement un vrai catholique qu’un ancien croisé passant pour renégat et intolérant.
Touvenel ne doute plus qu’on l’a mis au ban de la maison. Que va-t-il devenir, s’il est rejeté du seul lieu où sa vie a recommencé à prendre forme, près de gens qu’il a maintenant appris à connaître et qu’il estime ? Et si Constance, dont l’amour l’a ramené à la vie, le repousse définitivement ? Il sent peser cruellement sur lui le poids de ses erreurs et les ravages de son intransigeance, celle-là même qu’il reproche aux autres.
La porte de l’atelier s’ouvre enfin sur Constance. Le visage fermé, la mine affligée, sans lui adresser un mot, d’un geste autoritaire de la main comme celui qu’on adresserait à un simple valet, elle lui fait signe de la suivre. Au long des couloirs et des escaliers, il a beau la presser de questions, elle ne daigne pas lui répondre ni même lui jeter un regard. Dans la salle commune, elle lui désigne un banc et reste debout devant lui, avec une distance évidente.
— Me diras-tu enfin ce que tu as à me dire ?
— J’ai à te parler de Yasmina, annonce-t-elle sèchement.
Touvenel se décompose.
— Tu sais où elle se trouve ? Il lui est arrivé quelque chose de fâcheux ?
— De fâcheux, certainement. Et à cause de toi.
— Un accident ?
— Tu risques de l’avoir perdue à jamais.
Il bondit de son banc, fou d’angoisse.
— Explique-toi. Parle clairement. Cesse de me torturer.
— Te rends-tu compte que le bourreau, c’est toi ? Toi qui l’as contrainte à s’enfuir ?
Silencieux, les épaules basses, le visage marqué par la peine sous le regard implacable de Constance, Touvenel écoute encore une fois la litanie de ses critiques. Elles bourdonnent autour de sa tête comme autant de blâmes furieux.
— Jamais je n’ai voulu en arriver là, murmure-t-il. Je le regrette et je m’en veux. Mais dis-moi enfin ce qui est arrivé à Yasmina.
— Elle a été prise par les hommes de la Confrérie Blanche.
Le chevalier reste muet de saisissement. Pour l’achever, Constance lui assène :
— Une Sarrasine, une infidèle, tu imagines sans doute le sort qu’ils peuvent lui
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