L’ESPION DU PAPE
passé devant eux sans les avoir remarqués.
Dans la grande salle débarrassée des rouets, des tours de potiers, des pièces de bois et des outils de menuisiers, ont été dressées deux rangées d’écritoires garnies d’encriers, de plumes d’oie et de feuilles de parchemin. Les scribes des catholiques et des cathares pourront y rédiger leurs argumentations. La dispute oratoire aura lieu à l’extérieur, dans la grande cour plus propice à recevoir la foule des auditeurs que la trop exiguë salle capitulaire. Une conversation s’engage entre Paunac, l’évêque d’Osma, frère Dominique et un autre Parfait. Paunac propose qu’aujourd’hui la controverse soit axée sur le thème du dualisme, un thème aussitôt repoussé par l’évêque d’Osma.
— C’est vous, cathares, qui croyez à l’existence de deux créateurs, l’un invisible que vous appelez le dieu benignus , l’autre visible que vous nommez dieu malignus . Nous ne pouvons pas commencer une discussion par ce que nous, catholiques, considérons comme un blasphème.
— Qu’appelez-vous un « blasphème » ? fait mine de s’étonner Philippe de Paunac.
— Le fait d’attribuer à un dieu malin l’Ancien Testament et de le rejeter entièrement en déclarant damné son auteur.
— L’auteur de l’Ancien Testament affirme que le Créateur aurait dit aux premiers êtres : « Le jour où vous mangerez du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, vous serez frappés de mort. » Et il est de fait établi qu’après avoir mangé du fruit ils ne moururent pas, mais furent au contraire à l’origine de l’humanité. Tout est ainsi, dans ces Écritures que vous dites saintes !
— Allons, je vous en prie, messire de Paunac ! l’interrompt l’évêque. Je ne vous reconnais pas là. Si un débat entre nous doit s’installer, il ne peut pas commencer par des invectives et un refus de respecter ce en quoi croient ses adversaires.
Après s’être écartés pour se concerter à voix basse, chacun avec ses partisans, les deux hommes reviennent l’un vers l’autre et l’évêque d’Osma reprend la parole :
— Il serait sage de commencer par débattre de ce qui prête le moins à conflit entre nous : l’enseignement des Évangiles et le recours à la violence face au mal, par exemple. Seriez-vous d’accord ?
Paunac se tourne interrogativement vers les trois Parfaits qui l’entourent. Ils échangent un regard, puis hochent la tête en signe de consentement.
— C’est adopté, répond-il à l’évêque d’Osma.
— Que chacune de nos parties développe ses arguments en Écritures, propose l’évêque. Nous en débattrons en cour commune devant le peuple, les clercs et les diacres, lorsque cela sera fait.
— Pourquoi ne pas entamer tout de suite la controverse ? réplique Paunac. Nos arguments sont depuis longtemps assez affûtés, et nous n’avons nul besoin de les écrire.
L’évêque médite un instant, puis réplique :
— Respectons les modalités de la dispute, nous les avons mises au point ensemble. La parole est souvent mauvaise conseillère. Il est plus sage de commencer par écrire nos arguments. Cela permet toujours de mieux modérer ses expressions.
Paunac riposte :
— Je vous préviens tout de suite que tout doit se faire loyalement par la parole. Nous n’accepterons pas qu’il y ait encore une épreuve du feu, comme au vallon d’Arques, pour nous départager.
Dans un coin de la salle où se met en place le protocole qui réglera la journée, Stranieri et Touvenel observent le seigneur Guillaume de Gasquet. S’il a suivi jusque-là la discussion entre Paunac et d’Osma, il s’esquive à présent par une petite porte latérale. Stranieri entraîne aussitôt derrière lui le chevalier à travers un dédale de couloirs, de paliers et d’escaliers qui les fait déboucher sur un jardin herbu, d’un carré parfait, bordé de galeries voûtées d’ogives. Touvenel, la main sur la poignée de sa dague dans les plis de sa robe, se désole :
— Nous l’avons perdu !
— Tais-toi ! lui enjoint Stranieri, tout bas. Je sais ce que je fais. Regarde plutôt à ta gauche.
Tout près d’eux, des moines passent un angle du cloître et considèrent avec un soupçon de méfiance ces deux nouveaux venus. Stranieri fait mine d’admirer les entrelacs finement ciselés en feuilles d’acanthe d’un chapiteau de colonne et oblige Touvenel à détourner le visage en
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