L’ESPION DU PAPE
pièce dont le père supérieur conserve jalousement la clé et où n’ont accès, pour procéder à leurs recherches et à leurs expériences secrètes, que quelques initiés. Des endroits comme celui-ci, Stranieri en a connu dans presque toutes les abbayes qu’il a pu fréquenter, en Italie, en France, en Allemagne, au Danemark ou ailleurs. C’est presque toujours là qu’il a échafaudé, à l’insu de tous, les intrigues et les conspirations les plus sophistiquées, en compagnie de personnages dont nul, à part lui, ne devait connaître l’identité.
— Alors, cette bombe, Yong ? s’impatiente Stranieri.
Le Chinois, l’air satisfait, verse deux gobelets de poudre blanche dans un sac de cuir épais en forme de potiron. Il introduit une petite mèche dans l’ouverture du sac, le referme soigneusement avec un lacet et, par une série de gestes et de mimiques, explique comment il a procédé.
— Bravo ! s’exclame Stranieri. Je ne doutais pas que tu y arriverais. Mais es-tu bien sûr de ton mélange ? Il ne s’agit pas de faire la moindre erreur, cette fois !
Le Chinois répond par quelques signes, puis s’interrompt soudain, à un grincement de porte suivi d’un bruit de pas. Le visage de Stranieri se rembrunit : Guillaume de Gasquet vient d’entrer, en compagnie d’un homme d’armes et du baron Guiraud.
— Que faites-vous ici, monseigneur ? Vous deviez nous attendre sur la coursive.
— La chose est-elle prête ? s’enquiert Gasquet, ignorant la question de Stranieri.
Yong s’approche, le sac de cuir dans ses mains, et incline la tête en signe d’approbation.
— Et où est donc ton cathare, celui qui doit jeter cette bombe ? demande Gasquet à Stranieri en feignant l’étonnement.
— Dans le cloître, monseigneur. Je vais aller le chercher. Il doit nous rejoindre sur la coursive. Vous pouvez vous y rendre. Yong va apporter la bombe.
À un ricanement du baron Guiraud, Stranieri comprend que ce qu’il a imaginé a tourné court. Le seigneur de Puech échange un regard amusé avec son second, se tourne vers l’entrée de la salle et commande :
— Amenez-le !
Trois autres de ses hommes viennent jeter au pied de Stranieri un seigneur de Carrère suffocant, le visage tuméfié, la poitrine ensanglantée, les mains tremblantes, les jambes agitées de sursauts.
— Il n’a rien voulu avouer, malgré les petites fantaisies que nous lui avons accordées.
Gasquet décoche un violent coup de pied dans le ventre de sa victime. Touvenel se tord de douleur. Un deuxième coup à la tempe, du baron Guiraud, le laisse inconscient.
— Faux moine, faux troubadour, faux plan, faux complice, tes stratagèmes ne m’ont pas trompé, Stranieri ! Tu me déçois ! Pour un espion aussi réputé que toi, comment pensais-tu pouvoir m’abuser avec une ruse aussi grossière : m’offrir pour prétendu comparse l’homme qui me hait le plus au monde ?
Il arrache la bombe des mains de Yong.
— Te connaissant, Stranieri, je préfère ne pas prendre de risque inutile. C’est moi qui me chargerai du travail.
Et, avec un geste du menton vers Touvenel :
— Je garde quand même ta première idée : c’est cet imbécile que je ferai passer pour responsable. Tu témoigneras que tu l’as bien vu jeter l’objet, que je l’ai surpris et que j’ai passé sur lui ma colère. Tu auras eu toutes les peines du monde à me retenir. Rassure-toi, il ne sera plus en état de te contredire. Quand il sortira de mes mains, il aura rejoint sa femme Esclarmonde dans les flammes de l’Enfer.
Gasquet réfléchit un moment avant de désigner Yong aux hommes qui ont amené Touvenel.
— Gardez ces deux hommes. Nous les tiendrons prisonniers jusqu’à ce que le jugement de ce croisé renégat ait eu lieu. Je te laisse deviner, Stranieri, ce qui arriverait à ton assistant, s’il te prenait l’idée de me contredire devant les juges. Je le leur livrerai comme l’auteur de cet engin infernal, mais seulement après avoir pratiqué sur lui quelques petites expériences pour vérifier s’il est bien fait comme nous autres chrétiens. J’ai le goût des sciences, moi aussi, et Dieu me pardonnera volontiers les tortures que je lui aurai fait subir pour qu’il avoue ses méfaits. Même avec une peau jaune, je parie qu’il brûlera tout vif comme n’importe lequel d’entre nous quand on allumera sous lui un bon tas de fagots bien secs !
Avant de sortir de la salle avec Guiraud et
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