L’ESPION DU PAPE
chiffons qui couvraient leur visage, aperçoivent Guiraud, une lampe à huile à la main. Il monte en boitant les marches de l’étroit escalier des coursives.
— Il va rejoindre Gasquet, souffle Stranieri à Touvenel. Rattrapons-le !
Guiraud prend soin de protéger la flamme de la lampe au creux de sa main. Gêné par son infirmité, il avance péniblement. Stranieri chuchote au chevalier :
— Il va vers la terrasse, j’en étais sûr. Gasquet y sera seul.
Touvenel, de nouveau, le retient par le bras.
— Comment le sais-tu ?
— Je le sais ! répond simplement Stranieri.
L’homme que Gasquet a posté pour protéger ses arrières surgit soudain devant eux dans l’escalier et leur barre le passage. Stranieri lève son épée, Touvenel la lui arrache des mains.
— À moi, ce genre de travail ! Ce n’est pas pour un moine, même faux.
Devant le danger, il a retrouvé toute sa vigueur. Il se revoit monter à l’assaut des murs de Constantinople, portant de gauche et de droite des coups de son épée, renversant ses adversaires, en abattant d’autres par des tailles de bûcheron. La rage mortelle qui l’habitait revient battre dans ses veines. L’homme de Gasquet se rue sur lui. Il l’esquive. Emporté par son élan, son agresseur se retrouve face à Stranieri. Surpris par ce moine aux mains nues qui lui adresse un sourire, il ne voit pas venir le violent coup du tranchant de la main sur sa poitrine, qui le plie en deux et l’expédie au bas de l’escalier, tête en avant. Au tour de Yong de récupérer l’homme d’un violent coup de pied sous le menton, puis de terminer la besogne d’une manchette sur la glotte. Stranieri esquisse rapidement un signe de croix en direction du mort et apprécie :
— Bien joué, Yong ! Du bon travail. Propre et silencieux.
La voie est libre. Touvenel ne les a pas attendus. Il avale déjà les marches quatre à quatre. Stranieri et Yong se jettent à sa poursuite et le rejoignent sur la terrasse. Le chevalier s’est figé en apercevant Gasquet sur la coursive, un peu plus loin : il vient d’arracher la lampe à huile des mains de Guiraud. Stranieri commente avec un rien d’ironie :
— Ne t’avais-je pas dit que je te conduirais à lui et qu’il y serait seul ? Enfin, seul ou presque. Ils sont deux, nous sommes trois. Ce n’est pas si mal.
Gasquet, qui a entendu du bruit, se retourne.
— Derrière-toi ! Garde-moi ! commande-t-il à Guiraud.
Il file vers la bombe posée un peu plus loin contre la rampe de la courtine. Touvenel attaque. Le boiteux n’a que le temps de lever son épée pour empêcher la lame du chevalier de s’abattre sur lui. L’étroitesse de la coursive empêche Yong et Stranieri de passer. Ils assistent, impuissants, au combat entre Touvenel et Guiraud. Leurs fers s’entrechoquent avec fracas. Leurs cris de fureur emplissent l’air et passent par-dessus les toits des terrasses pour parvenir jusqu’au cloître où des moines s’interrogent sur ce vacarme venu troubler leur habituelle quiétude.
Touvenel met toute sa force dans un terrible moulinet pour décoller de ses épaules la tête de son adversaire. Mais, affaibli par ce que Gasquet lui a fait subir, son coup manque sa cible et l’entraîne contre le parapet de la courtine. Guiraud riposte en lui entamant le côté gauche. Il le fait chuter. Le chevalier roule sur le côté, agrippe les jambes du boiteux et le déséquilibre à son tour. Dans un corps à corps furieux, les deux hommes échangent coups de poing, ruades et étranglements. Par un violent sursaut, Touvenel réussit à échapper à l’emprise de Guiraud. Le baron récupère à peine son épée que le chevalier a déjà sauté sur la sienne et lui enfonce d’un coup terrible sa lame bien verticalement dans la nuque, pesant dessus rageusement de tout son poids, comme pour mettre à mort un taureau. Un flot de sang gicle au visage de Touvenel. Il contemple sa victime un court instant, puis, dégoûté, retire son arme et la jette loin de lui.
— Gasquet a disparu par là ! lui crie Stranieri.
Le passage est maintenant dégagé, mais ils n’aperçoivent plus Guillaume sur la coursive.
— Je le veux ! Il sera à moi ! À moi seul ! rugit Touvenel dans sa folie vengeresse.
Il reprend son arme et court vers le coude de la courtine. Intrigué de n’y trouver personne, il regarde de droite et de gauche, quand Gasquet sort d’une petite bretèche et lui assène un coup terrible à
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