L’ESPION DU PAPE
cause de la trace des blessures de Guiraud et de Gasquet. Comment Gasquet aura-t-il pu avoir le cou brisé, être tué d’un coup d’épée en plein cœur, et réussir malgré cela à faire le tour de Guiraud et à le tuer à son tour en lui enfonçant son épée dans la nuque comme s’il plantait un pieu ?
— C’est assez curieux, en effet. Mais une enquête bien conduite pourra sans doute conclure que Gasquet avait une force hors du commun ? Ou bien que la puissance de sa foi explique ce miracle ? Oui, c’est cela : quand Guiraud l’a frappé à mort, Gasquet a hurlé en le regardant droit dans les yeux : « Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! » et Guiraud en a été si effrayé qu’il a tourné le dos pour s’enfuir. Alors, dans un dernier sursaut, transporté par sa profonde piété, Gasquet l’a frappé à mort. Mais ce coup était si puissant qu’il s’en est brisé la nuque.
Castelnau éclate de rire :
— Et tout cela, bien sûr, en criant : « Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! »
— Par exemple.
— Je comprends mieux à présent ce que tu veux dire, quand tu prétends t’être trompé de vocation. J’ai vu représenter il y a deux ans de cela une petite pièce à la gloire du Seigneur, sur le parvis de l’église Saint-Pierre de Montmartre. Elle avait été écrite par un clerc qui l’avait intitulée : « Miracle de saint Jean ». C’est cette voie-là que tu aurais dû prendre, en vérité.
— Écrire pour l’édification des foules ?
— Oui.
— Tu n’as pas tout à fait tort.
Castelnau reste un moment pensif.
— Encore une fois, l’hypothèse d’un acte saint venant de cet odieux soudard ne me plaît guère.
— J’avoue que, moi non plus, mais c’est la seule qui puisse calmer les esprits.
— Dieu nous pardonnera-t-il un tel mensonge ?
— Nous serons quittes pour célébrer une messe à la mémoire de son âme.
Le légat lève les yeux au ciel.
— Une messe pour un tel monstre !
— La paix vaut bien une messe.
— J’espère que tu ne penses pas aussi à le canoniser ?
— Notre Saint-Père n’aura pas à aller jusque-là, sourit Stranieri.
Castelnau s’interroge de nouveau :
— Et tout cela viendrait d’un projet d’attentat contre moi ? Penses-tu vraiment qu’on pourra le croire ?
— Certes, oui. Tu t’es fait assez détester dans le pays pour cela.
Castelnau décoche cette fois à Stranieri un regard moins aimable. L’espion poursuit, sans s’en soucier :
— Tu es le représentant officiel de notre Saint-Père. En accusant les cathares de ton assassinat, Guiraud pouvait penser que cela donnerait enfin au Saint-Père le motif pour déclencher la croisade qu’il souhaitait contre les hérétiques.
— N’est-ce pas un peu trop tortueux, comme raisonnement ?
— Guère plus que bien des raisonnements théologiques auxquels nous sommes habitués et que nous acceptons comme vérités consacrées.
Le légat hausse les épaules, agacé.
— Tu ne pourras donc jamais t’empêcher de blasphémer !
— Ce n’est pas un blasphème, c’est une constatation.
Castelnau se détourne et va s’isoler un instant près de la fenêtre en regardant au-dehors.
— Et leurs hommes d’armes ?
— Un affrontement entre leurs sbires. Avoue que ce ne sera pas le plus difficile à expliquer aux enquêteurs que le Saint-Père t’enverra. Et songe aussi que, de toute façon, je confirmerai ta version auprès de lui.
Le légat finit par se retourner.
— Tout de même, quelles complications tu nous as faites pour supprimer simplement deux hommes !
— Deux hommes, peut-être, mais, du même coup, toute leur organisation criminelle, la Confrérie blanche. Ce n’est pas rien, conviens-en.
— Et si ta « bombe », comme tu l’appelles, avait causé des victimes ?
— Impossible. Frère Yong avait dosé son mélange de façon à ne provoquer que de la fumée et du bruit.
Castelnau continue d’afficher un air désapprobateur.
— Je suis vraiment désolé, Pierre, mais je n’ai rien trouvé de mieux pour attirer Guillaume à l’écart. J’aurai au moins réussi à ce qu’il n’ait que le moins d’hommes de main possible autour de lui.
Castelnau esquisse soudain une grimace en portant la main à son bas-ventre.
— Ça y est, ça me reprend.
25.
De mon haleine, j’aspire la brise
Que je sens venir de Provence
Tout ce qui vient de là-bas me plaît
Aussi, quand
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