Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
Vom Netzwerk:
Innocent III, piqué au vif. Tu ne cesseras donc jamais de te vautrer dans le péché ?
    — Pardonne-moi, Lotario, mais en quoi ai-je péché ?
    — Il y a mille façons de pécher et ta parole en est une !
    Les deux hommes se dévisagent. Une lueur de défi passe dans le regard de Stranieri. Le pape la remarque et explose de fureur.
    — À genoux !
    — Lotario, je t’en prie ! Il n’y a personne. Pas entre nous ! implore Stranieri, qui croit à une plaisanterie.
    Mais Innocent III semble très sérieux.
    — À genoux, je te dis !
    Avec une mimique d’agacement, Stranieri s’agenouille et baisse les yeux. Innocent III fait un signe de croix au-dessus de sa tête, puis joint les mains et murmure, comme pour une prière :
    — Non seulement tu prendras langue avec le roi, mais tu remettras à cette pauvre femme une lettre de ma part, en réponse aux missives déchirantes qu’elle ne cesse de m’envoyer.
    — Dispense-moi au moins de cela. Tu n’as pas besoin de moi pour lui porter une lettre, Très Saint-Père.
    — Justement, si. On m’a dit que celles que je lui adressais par la voie officielle étaient toutes interceptées par ses gardiens et remises au roi.
    Sans lever les yeux, Stranieri ose encore faiblement :
    — Mais comment veux-tu que je l’approche ? Elle vit recluse dans sa prison d’Étampes.
    — Philippe a fini par adoucir le traitement qu’il lui infligeait. J’ai fait acheter un gardien par notre légat. Il te mettra en contact avec elle.
    Stranieri lève un regard suppliant vers le pape :
    — Je t’en prie, Lotario, envoie quelqu’un d’autre à ma place. Je ne me sens pas encore en âge de terminer sur un gibet.
    Le pape le considère un moment, puis réplique :
    — C’est toi que je veux pour cette mission. Considère que c’est la marque de mon estime pour toi.
    Tournant le dos, il rompt brusquement toute discussion et plante là Stranieri en s’éloignant d’un pas rapide vers le palais.

3.
    Harassé, la tunique en lambeaux, le visage balafré, souillé de poussière, les commissures des lèvres plissées d’amertume, le front tanné par l’implacable soleil de l’Orient, l’écu fracassé, le chevalier de Touvenel n’a plus rien du brillant croisé qu’il était trois ans auparavant. Son visage s’est creusé chaque jour un peu plus, et sa haute taille s’est courbée, comme s’il avait à porter, à lui seul, l’iniquité du monde d’où il revenait. Pourtant ses yeux noirs brillent toujours d’un éclat étonnant, quasi mystique.
    À mesure qu’il se rapproche de son pays, la nature s’étale devant lui, de plus en plus grillée par un soleil ardent : arbres défoliés, ruisseaux emplis de galets, terre craquelée. Les roches, aussi brillantes que du verre, reflètent intensément les rayons du soleil. Capitelles à toits de genêts défoncés, abris de bergers en pierres sèches désertés, cadavres de vaches aux panses desséchées, et toujours le sinistre vrombissement des mouches noires au-dessus des charognes.
    De temps en temps, il entend une roche se fendre ou éclater. Malgré cela, il ne dissimule pas son plaisir de retrouver ces chemins empierrés et sinueux, ces bois de chênes verts sur la garrigue, ces endroits où, trois ans auparavant, à son départ pour la croisade, s’allongeaient encore les files de paysans de retour du labeur. Aujourd’hui, les lieux sont curieusement déserts. Une épidémie mortelle aurait-elle vidé les campagnes et rendu le paysage aussi sauvage qu’un champ de ruines ? s’interroge le chevalier.
    Cette terre lézardée, ces amas de galets, ces roches brûlantes, lui rappellent les paysages inhospitaliers du désert de Syrie. Un reflet du soleil plus violent que les autres l’aveugle. Une douleur subite vrille sa tempe. En un instant, il revoit l’horreur, les incendies, les massacres, le sac de Constantinople, et les monceaux de cadavres d’où lui et son écuyer Robert ont été arrachés, plus morts que vivants.
     
    Empli d’enthousiasme, comme tous les croisés, il avait répondu bien des mois auparavant à l’appel de la chrétienté. Ses voisins, les comtes et barons du comté de Toulouse lui avaient rapporté les paroles d’un prédicateur illuminé, légat du pape, un certain Foulques de Neuilly : « Une voix divine m’ordonne de proclamer devant tous les comtes de France, qu’ils doivent chacun quitter leur foyer pour aller vénérer le Saint-Sépulcre et

Weitere Kostenlose Bücher