L’ESPION DU PAPE
n’ait pas su lui donner de précisions sur ce que pouvait bien être cette posture animalière. Elle lui en avait cependant proposé quelques-unes, qu’il avait jugé dignes d’être essayées. Cela lui avait rappelé ses années d’étudiant à la faculté de théologie, en compagnie de Lotario. Il ne tirait aucune honte de cette entorse à ses vœux de chasteté. Ne fallait-il pas calmer le Malin pour retrouver la paix de Dieu ?
« Quelle insupportable ville ! » se répète-t-il, décidément de très mauvaise humeur, en se frayant un passage vers le Châtelet dans la rue de l’Écorcherie, à travers une foule de porteurs de carcasses, de rouleurs de tonneaux ou de livreurs de harengs pataugeant dans des rigoles de déchets malodorants. Une ville qui prétend dispenser les plaisirs de Cérès et de Bacchus, alors que les coteaux de ses vignobles de Suresnes ne valent pas tripette à côté de ceux du Latium, et encore moins de la Toscane.
« Enfin le grand pont et les bonnes rues bourgeoises ! » murmure-t-il en posant le pied sur les pavés tout neufs du pont qui franchit la Seine vers l’île de la Cité. Le soleil de ce milieu de matinée perce de plus en plus à travers les nuages et lui chauffe agréablement la nuque. Son humeur change d’un seul coup à la vue de la foule bigarrée qui promène son insouciance. Après tout, cette ville peut aussi être la plus délicieuse du monde, quand son indolence se déploie le long de ses échoppes grassement pourvues. Il jette un coup d’œil plus réjoui sur les femmes qui s’empressent autour des marchands de broderies ou de parures. La rumeur qui l’environne lui semble augurer d’une journée heureuse.
Une charrette passe près de lui dans un bruit infernal. Une délicieuse odeur de rôti sort de la fenêtre ouverte d’une cuisine d’auberge. Des enfants s’amusent à se cacher sous un porche. En faut-il plus pour remercier le Ciel de vivre ? La misère grouillante croisée juste avant de passer la Seine ne lui paraît plus aussi ténébreuse. La vie lui semble tout à coup légère et facile. « Comme l’humeur de l’homme peut être changeante, et pour presque rien ! » pense-t-il. Une autre lumière, d’autres couleurs, un degré de plus dans la température ambiante, et voilà que rien de ce qui vous oppressait ne semble plus ni tragique ni dérisoire. L’abjection devient innocence et la laideur vous apparaît comme un signe de pureté.
Ici, des femmes, certaines voilées, d’autres coiffées de guimpes rendant leurs visages hiératiques, arborent bijoux, fourrures et tuniques brodées, pour faire leurs emplettes aux étals des drapiers. Ailleurs, des couples déambulent, certains enlacés, d’autres désunis. L’un d’eux attire son attention. L’homme, vêtu d’une tunique écarlate doublée d’hermine, ceinturé d’or et coiffé d’une toque, représente ce qu’il peut y avoir de plus élégant à Paris. La femme qui marche près de lui est coiffée d’un touret à mentonnière qui lui donne un air hautain, bien que ses lèvres esquissent un sourire en constatant l’effet qu’elle produit sur l’homme d’Église.
Stranieri admire avec quelle grâce elle se tient, arborant une longue tunique de soie verte, fourrée aux manches, le buste légèrement en arrière, relevant le bas de sa tunique pour avancer plus facilement. Une broche ciselée d’or rehausse la beauté de sa gorge. Placée assez bas, elle maintient une échancrure large d’au moins deux doigts. Sa poitrine est plus blanche que la neige et Stranieri ne peut se retenir de lui lancer un regard de désir. Son compagnon le surprend et se fige. Il blêmit et pose la main sur une dague à sa ceinture. Stranieri préfère détourner le regard et passer son chemin pour éviter une rixe. Son rendez-vous avant tout !
Il tourne rapidement sur sa gauche, dans la riche rue de la Pelleterie aux étals couverts de cuirs et de fourrures. Si personne autour de lui ne semble incommodé, il ne peut s’empêcher de se boucher le nez à l’épouvantable odeur que le vent en provenance de la rive droite porte par-dessus la Seine. L’installation de ces tanneries à proximité du palais royal et de la cathédrale témoignent, pour le moins, d’un curieux manque de raffinement pour une cité qui se targue d’être la plus belle de toutes. Décidément, il ne comprendra jamais ces Français et leurs contradictions. Il est vrai, se rappelle-t-il, que cette
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