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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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dans une soupe immonde. Son estomac, secoué de spasmes, le torture horriblement. Non seulement Philippe Auguste n’a pas daigné écourter sa chasse pour le recevoir, mais, à peine arrivé au château, alors que son conseiller frère Guérin tentait de lui toucher un mot au sujet de Stranieri, son visage s’est figé comme sous l’effet d’une gifle.
    Le roi de France se souvenait parfaitement de ce Stranieri, qui lui avait apporté, quelques années auparavant, un rappel à l’ordre du pape à propos de sa « bigamie » et la menace de l’« interdit » jeté sur son royaume, au cas où il ne se soumettrait pas. Il s’était aussi rappelé les intrigues dudit Stranieri et les négociations secrètes auxquelles cet homme s’était livré au nom du Saint-Siège à ses dépens, pour que sa femme légitime Ingeburge revienne à la Cour et pour éloigner de lui son « épouse ajoutée » Agnès de Méranie. La blessure était encore vive d’avoir finalement dû se soumettre et exiler celle-ci à Poissy, alors qu’elle était enceinte et près d’accoucher.
    — Dans la fosse ! Comme il sied à un espion ! avait simplement dit Philippe à frère Guérin.
    Et, comme son conseiller essayait de le faire renoncer à cette humiliation, à ses yeux bien inutile, d’un envoyé du pape, surtout officieux, le roi avait brusquement explosé, dans l’un de ses accès de colère habituels.
    — Jamais je ne pardonnerai à l’homme qui m’a obligé de renoncer à celle qui fut l’amour de ma vie. Je tiens Innocent III pour responsable de sa mort. C’est à cause du chagrin de notre séparation forcée qu’Agnès a été emportée par une fièvre tierce après m’avoir donné un fils. Ma douleur est aussi vive qu’au premier jour, chaque fois que je reviens m’agenouiller sur sa tombe, au couvent de Saint-Corentin.
    Puis, après s’être calmé :
    — Ce petit séjour à la fosse fera le plus grand bien à ce Stranieri. Je me souviens encore de son insolence. Tu lui diras qu’il la tempère et mette ses idées au clair avant de venir me les soumettre.
    « Le clair, ce cachot en manque singulièrement ! » soupire Stranieri, en écrasant une énorme araignée sur sa robe, avec un regard vers l’étroit soupirail dont les toiles de ces immondes insectes voilent presque complètement la lumière de l’extérieur.
     
    Il respire, à présent. Le décor et l’ambiance ont sensiblement changé. Frère Guérin est enfin venu le sortir de sa « cellule de recueillement » en lui recommandant de ménager la susceptibilité de Philippe. Le roi a accepté de le recevoir, mais pendant son repas, pour ne pas empiéter sur le temps dévolu aux affaires du royaume.
    Après avoir fourni à Stranieri de quoi se laver et changer de vêtements, le conseiller l’entraîne dans la grande salle du donjon de Vincennes, couverte de tapisseries, de fourrures et de tissus, meublée de fauteuils pliants rembourrés de coussins, de coffres et d’armoires en bois de chêne encastrées dans les murs. Le feu crépite dans la monumentale cheminée, fournie de bûches. À côté des blasons des seigneurs capétiens accrochés aux murs figurent d’imposants trophées de chasse. Le sol est jonché d’herbes odorantes, de fleurs et de joncs, pour chasser les odeurs fortes exhalées par les mets servis à la table royale, où des pâtés de chevreau voisinent avec des quartiers de chevreuil, de cerf et de daim piqués de lard, des oisons gavés et des gigues de sanglier.
    En s’agenouillant devant le suzerain, Stranieri lui adresse un compliment respectueux :
    — Je constate, sire, que vous êtes un fameux chasseur.
    Le roi le fait asseoir en face de lui, de l’autre côté de sa longue table, et lui fait servir un simple morceau de fromage avec une tranche de pain et un gobelet d’eau, sans lui proposer de viande ni de mets cuisiné.
    — Je suis reconnaissant à Votre Altesse de m’éviter le pêché de gourmandise, ainsi qu’il convient à un saint homme d’Église, ironise Stranieri avec un regard d’envie vers les rôtis fumants.
    Le roi se contente de lui lancer un regard amusé, tout en mordant à pleines dents dans un cuissot. Stranieri peut constater les ravages du temps sur cet homme qu’on nommait le « mal peigné » dans sa jeunesse à cause de sa chevelure ébouriffée, et qui, maintenant, à la quarantaine, est devenu presque chauve. Il est cependant resté droit, bien découplé, son teint

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