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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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armes ne sont qu’apparence trompeuse. Je serais vêtu autrement depuis longtemps si j’avais de quoi. Que la paix soit avec vous ! Ne faites pas attention à cette croix sur ma tunique, elle ne veut plus rien dire.
    Il ébauche un sourire à leur attention. Yasmina l’imite en se mettant debout. Du talus où elle se tient, elle les domine dans une attitude provocante. Pas vraiment rassuré, l’un des deux hommes demande à Touvenel, le doigt pointé vers elle, légèrement tremblant :
    — Cette jeune fille, c’est ta fille ?
    — Hélas, non ! Dieu ne m’a pas encore accordé d’enfant. C’est une orpheline que je ramène avec moi d’Orient. Nos « frères » croisés, pour honorer leurs costumes et celui que je porte, ont brûlé la maison de son maître, violé sa nouvelle mère et ses sœurs d’infortune et tué tout le monde autour d’elle. Je l’emmène avec moi à Savignac, au château de Carrère.
    À peine a-t-il prononcé ces mots qu’il pense que sa femme et lui seraient comblés de bonheur s’ils pouvaient devenir sa famille de cœur. Elle serait leur fille à tous deux, l’enfant qu’ils n’ont pas encore eu et qu’ils désirent tant. Effarés par ce que vient de leur dire le chevalier, les deux hommes bredouillent entre eux quelques mots incompréhensibles. Celui qui semble le plus hardi déclare :
    — C’est aux fruits qu’il porte qu’on reconnaît le bon arbre. Le vrai Dieu saura accueillir ceux qui professent bonté, dépouillement et charité.
    Voyant les yeux de Yasmina rivés sur un poulet qu’il tient par les pattes, le cou pendant, le deuxième homme s’attendrit. Il le lui présente.
    — Tu as faim, on dirait. Veux-tu cette volaille ? Nous te la donnons de bon cœur. Elle t’aidera à trouver la force de continuer ta route.
    Yasmina baisse la tête, blessée d’accepter une aumône. Il insiste :
    — N’aie crainte de nous priver. Ce présent qu’on nous a fait ne nous manquera pas. Nous n’avons pas le droit de le manger.
    Comme Yasmina hésite encore, malgré la faim qui la tenaille, Touvenel la pousse du coude.
    — Ne les humilie pas. Prends ce qu’on te donne.
    — Nous ne nous nourrissons que de légumes, de fruits et de poissons, explique le deuxième homme en noir.
    Touvenel empoigne le poulet par le cou. Mais aussitôt, honteux de son empressement, il l’offre à Yasmina. Devant la gêne évidente de la jeune femme, le premier des hommes en noir le rassure d’un ton bienveillant :
    — Seigneur chevalier, songe toujours, avant toute action, même quand tu douteras, que, dans le monde de l’au-delà, le Seigneur attend de nous récompenser.
    Sans un mot de plus, les deux hommes, avec un signe d’amitié, reprennent leur chemin et s’éloignent dans la nuit naissante.
    Touvenel, plus ému qu’intrigué par cette marque de fraternité inattendue de la part de vilains à l’encontre d’un seigneur, ne sait quelle contenance prendre face à Yasmina. Devant son embarras, elle le considère d’un air nouveau, à la fois respectueux et amusé.
    — Pourquoi me parle-t-il comme si j’étais déjà mort ? Pourquoi cette compassion ? s’interroge-t-il à mi-voix.
    Un long râle interrompt ses réflexions. Touvenel se retourne vers Robert, allongé à côté du feu, agité de violentes convulsions. Il se penche sur son écuyer et constate que celui-ci a les yeux braqués pour l’éternité sur la lumière naissante de l’étoile du Berger. Il vient de quitter le monde présent, la bouche grande ouverte sur un air qu’il n’aspirera plus jamais. Le chevalier sent une terrible angoisse monter en lui. Le Seigneur s’acharne-t-il encore à les punir de cette croisade et jusqu’où poursuivra-t-il son châtiment ? Des larmes lui viennent aux yeux, comme s’il sentait cette mort annonciatrice de plus grands malheurs encore.

4.
    — Par la dent de Dieu ! jure Stranieri en s’affalant dans la fange.
    Des rires éclatent derrière lui.
    Il a bien réussi à éviter les seaux d’eau sale et toutes sortes de déchets déversés par les fenêtres des maisons. Il a semé ce qu’il pensait être des suiveurs, en tournant d’une rue à une autre, se dissimulant fréquemment sous le porche d’une maison ou derrière l’étal d’une échoppe. Il pensait avoir échappé au pire, mais, dans un regrettable moment d’inattention, il vient de trébucher sur une charogne immonde : un cadavre de chien à moitié rongé par les rats au

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