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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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hommes ont entendu un autre nom avant que tu prononces le mien : Stranieri, Francesco Stranieri !
    Stranieri s’arrête net de manger. Un sourire éclaire le visage de Gasquet.
    — Ma cuisine te déplairait-elle soudain, ou ai-je frappé juste ?
    — Rien de tout cela, monseigneur. Simplement, vous m’avez soigné comme un ambassadeur : chevreuil braisé, pâté de veau, moelle de bœuf, boudins, saucisses, c’est plus que ne peut en absorber un chrétien. J’en suis repu, sauf votre respect.
    Gasquet reste quelques instants silencieux, les yeux rivés dans ceux de Stranieri, comme pour éprouver sa sincérité.
    — Je sais ce qu’il te faut, pour hâter ta digestion et te dénouer la langue : un peu d’exercice. Une joute aux bâtons avec le baron Guiraud dont tu as fait la connaissance hier soir, par exemple. Qu’en dis-tu ?
    Le boiteux aux yeux de fouine s’approche déjà, un rictus aux lèvres, ravi de pouvoir infliger une sévère correction à cet hôte qui lui déplaît visiblement. Stranieri affecte aussitôt sa crainte.
    — J’avoue humblement ne pas être trop expert en la matière.
    Gasquet fait mine de réfléchir.
    — J’ai une autre idée, alors.
    D’un revers de main, il balaie les assiettes d’étain, les coupes, les cruches à vin, les poteries et les verres disposés autour de lui.
    — Qu’on apporte les chandelles !
    Un murmure de satisfaction parcourt l’assemblée qui sait à quel divertissement elle va avoir droit. Gasquet s’assoit en face de Stranieri, relève la manche de son bras droit et appuie son coude sur la table.
    — Une partie de bras de fer. Qu’en penses-tu ?
    — Oh ! monseigneur ! Un pauvre jongleur de mots comme moi en face d’un aussi puissant guerrier ? La partie est trop inégale. Ma seule force réside dans mon éloquence.
    — Nous verrons cela, troubadour ! Je te devine plus fort que tu ne veux le paraître.
    Des valets viennent disposer de chaque côté des lutteurs une grosse chandelle à la flamme sulfureuse et à la cire bouillante. Gasquet, avec un large sourire, rappelle les règles du jeu à son adversaire.
    — Le dos de la main de celui qui faiblira le premier ira s’écraser sur la mèche brûlante. À son cri de douleur, on connaîtra le perdant.
    Les deux mains s’étreignent, les biceps se durcissent, les poignets se raidissent. Les deux adversaires s’affrontent, visages crispés, mâchoires serrées, les bras tremblant sous l’effort. Silencieux, les invités du seigneur de Puech assistent au duel, et, à certaines expressions que Yong surprend lorsque le bras du seigneur des lieux faiblit, il se doute que tous ne souhaitent pas vraiment sa victoire. Il connaît la vigueur de son maître et lui fait confiance pour gagner la partie, mais il devine aussi que Stranieri ne peut pas vaincre, s’il ne veut pas rendre Gasquet furieux.
    Les deux hommes, le visage congestionné, les yeux dans les yeux, puisent à présent dans toutes leurs ressources. Stranieri, s’étonnant de rencontrer une telle force chez Gasquet, lui résiste autant qu’il le peut. Il sent qu’il pourrait faire basculer le bras de son adversaire, s’il le voulait, mais il renonce. Un cri aigu monte dans la salle, suivi des acclamations de l’assistance. Ce n’est pas Stranieri qui hurle sa souffrance, mais Guillaume de Gasquet qui manifeste la joie de sa victoire. Le troubadour, le dos de la main écrasé dans la cire bouillante de la chandelle, grimace de douleur. Pourtant, aucun mot, aucune plainte ne s’échappe de sa bouche. Cruellement, le seigneur de Puech maintient sa main sur la sienne.
    — Tu as perdu. Dis-moi quel est ton vrai nom. Sinon, tu peux t’attendre au pire pour ta main ! Je veux aussi savoir ce que tu viens faire ici, sous ce déguisement.
    Une odeur de chair brûlée monte au-dessus de la table. Stranieri ne desserre pas les mâchoires. Surpris par une telle résolution, Gasquet abandonne et se tourne vers Yong.
    — Toi, tu vas parler. Je te sens plus bavard que ton compère. Comment t’appelles-tu ?
    Le Chinois roule des yeux, agitant fébrilement ses mains en signe d’apaisement. Guillaume de Gasquet se lève et vient vers lui.
    — Ton nom, vite !
    — Frère Yong ! prononce Stranieri d’une voix faible, en relevant péniblement son bras.
    — C’est à lui que je parle, pas à toi !
    Gasquet sort une dague et la pointe sur le cou du Chinois.
    — Tu vas parler ? Je te préviens que ni ton

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