L’ESPION DU PAPE
ricane :
— Les médailles saintes que tu arbores sur ta coiffe me paraissent un peu trop nombreuses pour être honnêtes.
Saisissant Stranieri par les cheveux, il lui renverse brutalement la tête en arrière. Son rire cesse d’un coup, car la perruque s’est détachée. L’expression de l’homme se fige en découvrant la tonsure.
— Serais-tu un moine apostat ? Ah ! ça, troubadour, tu dois nous chanter de drôles de messes ! Si c’est bien le cas, je saurai te faire danser avec d’autres musiques !
L’éclat des yeux de fouine du personnage, dans lesquels se reflètent les flammes du feu de camp, accentue son regard cruel. Il lâche Stranieri et ôte sa cagoule.
— Je t’ai entendu invoquer dans la nuit le nom du seigneur Guillaume de Gasquet. Dieu a exaucé ton vœu. Je vais te conduire à lui. Vous serez peut-être plus bavards après le traitement qu’il réserve à des hôtes privilégiés.
Et, se tournant vers les hommes qui l’entourent :
— Saisissez-vous d’eux ! Nous les emmenons au château.
Je ne chanterai pas ce troubadour
Qui fait chansons de toutes couleurs
Et s’imagine faire de très beaux vers
Le mauvais ressemble à une outre séchée au soleil
Avec ses chansons maigres et lamentables
Pareilles à celles d’une vieille porteuse d’eau
Lui qui, s’il se regardait dans un miroir
Ne se priserait pas de la valeur d’un gratte-cul
conclut le chanteur, en pinçant les cordes de son luth.
— Ah ! troubadour, vrai jongleur de mots, toujours me fera bonheur de t’entendre !
L’éclat de rire de Guillaume de Gasquet a salué la dernière strophe de la chanson de Ribautz, son troubadour personnel qui vient d’opposer son talent, dans une longue joute oratoire, à celui de Stranieri. Pour mettre ce dernier à l’épreuve, le maître des lieux en a décidé ainsi. Malgré la découverte de sa tonsure, l’espion du pape a persisté en effet à se faire passer pour un jongleur de mots. Et, bien qu’il se soit honorablement sorti du défi, il n’a pas réussi à convaincre.
Il me plaît aussi le seigneur
Quand le premier il se lance à l’assaut
Sur son cheval armé, sans frémir
Pour faire les siens enhardir
De son vaillant courage
clame à son tour Guillaume de Gasquet.
— Voilà ce que tu aurais pu dire de moi en vrai troubadour, sieur Lestranger. Au moins aurais-tu essayé de parodier mon fidèle Ribautz.
Guillaume de Gasquet, seigneur de Puech, siège au milieu de la longue et haute table dressée sur une estrade de la grande salle de son château. Grand, mince, blond, il paraît avoir la quarantaine, bien qu’il semble chercher à se rajeunir. Ses joues rasées de près sont poudrées, rosies et aussi lisses que celles d’une femme. Ses mains fines aux doigts chargés de bagues, dont les pierres jettent leur éclat dans la lueur des torches, décrivent avec ostentation des arabesques dans l’air.
Il était entré dans la grande salle, avec une fierté proche de l’arrogance, vêtu d’une longue cotte de lin ceinturée d’un galon d’or pour mieux mouler son torse recouvert d’une étoffe de soie bleue. Dans ses chausses violettes, d’une finesse extrême, et ses chaussures en cuir de Cordoue blanc, il paraissait efféminé, mais Stranieri a tout de suite compris que cet aspect était trompeur et que l’homme était fort et redoutable, probablement aussi pervers que celui qui les avait arraisonnés devant leur feu de camp et dont il a appris depuis qu’il se nommait le baron Guiraud.
Entouré des clercs de sa châtellenie, de l’abbé de la paroisse, de ses chevaliers et de leurs dames en riche costume de lin et de brocarts brodés d’hermine ou de fils d’or, Gasquet entend fêter comme il se doit la découverte du secret du parchemin dont Stranieri et Yong, sous la menace de la torture, lui ont dévoilé les propriétés volatiles et ininflammables. En fait, l’espion du pape, trop content d’être si vite parvenu au cœur de la Confrérie blanche, n’a opposé aucune résistance pour divulguer les vertus d’une invention attribuée à son curieux compagnon au teint olivâtre.
— Allons, avoue que tu n’es pas plus poète que chevalier ou pèlerin de Compostelle ! lance Gasquet à Stranieri. Un troubadour accompagné d’un moine, qui a déjà vu ça ? Tu dis t’appeler Lestranger. Je connais un Jaufres Lestranger, gentilhomme, troubadour et seigneur d’Aragon. Tu ne lui ressembles pas. L’autre nuit, mes
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