L’ESPION DU PAPE
pour ma fille.
— Si elle est dans cet état demain, j’essaierai un emplâtre de férule et de farine d’orge. Il a réussi sur la femme de votre régisseur.
Touvenel hoche la tête, silencieux, sans toucher à son assiette. Il fixe le troubadour, en train de mordre avec un plaisir non dissimulé dans un morceau de pâté. Soudain, n’y tenant plus, il abat sa main droite sur son épaule.
— Allons, baisse ton masque, troubadour, et dis-moi ce que tu es venu chercher ici.
Stranieri se sent soudain pris de doute, face à ce chevalier au regard sombre, aux mains fortes et nerveuses crispées sur le bord de la table. Il se demande si, trop confiant en lui-même, il ne l’a pas considéré à tort comme un grand escogriffe un peu naïf, prêt à gober ce qu’il voulait lui faire entendre. « Méfions-nous ! pense-t-il. Il conviendrait peut-être de le regarder à présent d’un autre œil. Nous verrons bien ! » Sans perdre son assurance, il échange un regard surpris avec Constance et réplique :
— Monseigneur, ce n’est pas moi qui suis venu ici, vous m’y avez amené.
— Je te l’accorde. Mais c’était bien toi qui étais dans l’église, l’autre jour, en compagnie du seigneur de Gasquet. Et toi encore, qui étais près de lui pendant la dispute théologique entre catholiques et cathares au vallon d’Arques. Avoue que tu n’es pas arrivé par hasard sur moi, aujourd’hui, dans la garrigue.
Stranieri dégage doucement son épaule de la poigne de Touvenel et se demande un instant quelle conduite tenir. Il opte finalement pour reconnaître à demi son mensonge.
— J’étais bien dans l’église, l’autre jour et je vous y ai vu affronter Guillaume de Gasquet et ses hommes. J’ai eu le désir de vous retrouver, c’est vrai, et je suis passé demander à l’un de vos fermiers où vous logiez, mais c’est un hasard si nous nous sommes rencontrés dans la garrigue.
— Pourquoi voulais-tu me retrouver ?
— Pour le plaisir. La curiosité de connaître de plus près quelqu’un comme vous. C’est seulement en faisant l’expérience des autres qu’on peut écrire des chansons.
Touvenel le fixe un long moment avec méfiance.
— Tu as dit t’appeler Lestranger. Quelque chose me fait penser que tu mens.
— C’est pourtant bien mon nom.
— Mais enfin, Bertrand, qu’est-ce qui vous prend ? s’exclame Constance. Laissez notre hôte tranquille.
— Cet homme n’est pas sincère, Constance. Il s’est approché de moi en poursuivant un but que je ne connais pas, mais qui me paraît malhonnête.
— Pourquoi le serait-il ?
— Parce que tout but qui n’ose s’avouer l’est.
— Comment pouvez-vous dire cela, sans avancer d’arguments ?
— Ma vie m’a appris à reconnaître les dangers. Je les sens comme la bête sauvage sent les chasseurs à l’affût.
Et, comme Stranieri se tait :
— Va-t’en, file loin d’ici. Cela m’évitera de faire une bêtise, ordonne-t-il, comme s’il était maître chez lui.
Constance se lève, furieuse.
— Vous ne semblez pas connaître les règles de l’hospitalité cathare. Elles sont sacrées. Il restera chez moi autant qu’il le voudra.
— Constance, vous devez me croire ! assure Touvenel en se levant à son tour.
Ils s’affrontent en silence, sous le regard de Stranieri. Constance se raidit.
— Nous pouvons partager une couche, mais cette demeure reste la mienne et je la dirige comme je veux.
S’adressant à Stranieri, elle ajoute :
— Messire troubadour, les chemins ne sont pas sûrs à cette heure. Vous pouvez passer la nuit dans cette maison. Une servante va s’occuper de préparer votre chambre.
Se rasseyant, sans un regard pour Touvenel, elle poursuit :
— Entre-temps, continuez, s’il vous plaît, de m’égayer de vos belles strophes et jongleries de mots.
Un moment indécis, le chevalier se dirige vers la porte.
— Où allez-vous ? lui lance Constance.
Mais il sort sans un mot.
— Vous grognez comme un mauvais âne que vous voulez paraître, s’amuse Constance, en ouvrant grands les rideaux du lit où repose Touvenel encore vêtu de son surcot et de ses chausses. Je vous trouve bien ombrageux, alors que c’est moi qui pourrais m’offusquer.
Devant son silence têtu, elle saisit le bas de sa cotte et la fait passer par-dessus sa tête, dévoilant son corps nu. Elle vient s’allonger contre lui, mais il garde immobilité et silence complets.
— Ah
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